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Frédéric Soulié



Auteur méconnu, Frédéric Soulié portait, dans sa préface de l'Homme de Lettres ( Paris, Hippolyte Souverain, 1838 ), cette appréciation sur la pérennité de son œuvre, ainsi que de celle des ses contemporains :

    — « ...Mais ce n’est pas nous qui élèverons l’édifice dont nous avons mis à nu les matériaux ; une génération viendra, vivant dans des temps plus calmes et meilleurs, qui prendra et choisira dans ce chaos où nous marchons pour en séparer le bon du mauvais ; elle recueillera toute la gloire de nos efforts et s’édifiera sur nos ruines, comme le XVIIe siècle a bâti son temple sur le sol préparé par les labeurs du XVIe. Voilà notre avenir ; il faut que l’homme de lettres de nos jours s’y résigne avec la seule espérance qu’un jour un bibliographe curieux, pénétrant dans le monceau d’idées que notre siècle a produites, écrira sur nos livres oubliés :
        – Là était le germe de ce que d’autres ont mûri. »

Qui mieux que ses pairs pourraient nous présenter cet homme injustement tombé dans l'oubli ?

Voici donc la préface de l'édition de 1876 des Mémoires du diable, œuvre maîtresse de ce grand écrivain. Sa notice nécrologique vous en apprendra un peu plus sur le personnage.


portrait de frédéric soulié

Notice nécrologique

Le breuvage de
Jeanne d'Arc

Les quatres Henri

Le conseiller au parlement de Toulouse

Le sapeur de dix ans

Bataille d'Austerlitz

Murat et Davoust

Une séance des États
du Languedoc...

Le département de l'Arriège

Le louis d'or

La chapelle souterraine 
de Bethléem

Exécution
de Jeanne Gray

La tour de Verdun



Le 10 février 1875, à 11 heures du matin, on inaugurait au cimetière du Père-Lachaise le nouveau monument élevé à la mémoire de Frédéric Soulié.
Après une allocution magistrale de M. Auguste Maquet, qui représentait dans cette circonstance la Société des Auteurs dramatiques, M. Paul Féval, au nom de la Société, des Gens de Lettres, prononça le discours suivant :

Messieurs,

Le 25 septembre 1847, le cimetière où nous sommes eut peine à contenir la foule qui suivait le cercueil de Frédéric Soulié : Jamais plus vaste recueillement ne glorifia les funérailles d'un homme.
C'était un homme, en effet, aimé encore plus qu'admiré un homme dans toute la hauteur du mot : et quand la voix de Victor Hugo, sonore comme son génie, fit entendre ces paroles qui vibrent encore après tant d'années : « Il vivait par le cœur, c'est par le cœur qu'il est mort, » le même sanglot s'étouffa dans des milliers de poitrines.
Aujourd'hui une cérémonie moins douloureuse nous rassemble. Les deux sociétés fraternelles dont Frédéric Soulié fut l'honneur rendent visite à sa tombe restaurée. Auguste Maquet lui a apporté le cordial, l'éloquent souvenir des auteurs dramatiques ; moi, je viens dire à mon illustre ami, à mon bien-aimé maître que les gens de lettres sont toujours fiers de lui, et qu'ils ne l'oublieront jamais..
Ils étaient alors une pléiade de romanciers dont le renom était grand comme la gloire : Alexandre Dumas, Mérimée, Soulié, Gozlan, Nodier, Stendhal, Musset, Balzac... Ah ! nous étions bien riches, en ce temps-là ! Et encore ne puis-je citer ici que nos morts.
Parmi ces beaux esprits, quelques-uns ont grandi dans la postérité à peine ouverte, d'autres ont déjà subi une déperdition d'éclat. Frédéric Soulié ne me semble pas apprécié à sa valeur par nos jeunes confrères. Il leur appartient, pourtant : il est jeune. Balzac et lui, de leur vivant, furent tous les deux victimes de cette manœuvre jalouse qui consiste à clouer l'écrivain dans un de ses livres. Balzac frémissait au seul nom d'Eugénie Grandet, son ennemie ; Frédéric Soulié courbait la tête dès qu'on allumait ce petit encensoir : le Lion amoureux, pour le lui briser au visage.
Vous avez vengé Balzac amplement et depuis longtemps ; Soulié, à son tour, demande justice. Le Lion amoureux est un récit charmant, mais pourquoi vous arrêterait-il au seuil même de l'œuvre? Entrez, et jugez ces autres poèmes de si puissante haleine : Le Vicomte de Béziers, le Comte de Toulouse, deux romans que Walter Scott eût signés ; le Conseiller d'Etat, tout poignant d'émotions ; les Mémoires du Diable, encombrés de richesses ; la Confession générale, qui renferme un joyau sans prix ; Huit jours au Château, Eulalie Pontois, la Lionne et tant d'autres larges conceptions qui protestent contre le crime de notre abandon. A ceux qui liront pour la première fois ces pages opulentes, il semblera qu'ils découvrent un monde. Leur regard mesurera d'en bas cette mâle stature d'inventeur. Ils seront conquis par cette pensée, chaude, et fraîche, et forte, emportée parfois jusqu'à l'exagération, mais qui laisse monter toujours, du fond même de ses violences, un parfum de tendre sincérité.
Cela, c'est Frédéric Soulié, le vrai, avec ses qualités, avec ses défauts, les uns et les autres énormes. Un cachet de grandeur est là ; on y sent souffler le génie. Et il y a aussi de l'esprit, non pas celui qu'on cherche : celui qu'on trouve, l'esprit natif, oui, natif comme l'or !
Et il y a enfin, il y a surtout ces allures de lion, ces loyautés héroïques, ces pulsations, superbes dans leurs inégalités, qui dénoncent la fièvre peut-être, mais qui proclament la vie !
    C'est certain, Frédéric Soulié garda trop longtemps, au plein de ce grand cœur dont il vécut et mourut, le sang prodigue de la jeunesse ; il ne sut pas économiser l'heure qui épure lentement les chefs-d'œuvre et resta jusqu'au bout le dissipateur de son admirable puissance. Aussi je voudrais voir la parole de Victor Hugo gravée sur le marbre de ce cher tombeau, car elle est à la fois l'histoire de Frédéric Soulié, son portrait, sa défense et sa couronne.
Mais ce ne serait pas encore assez ; nous lui devons davantage ; je ne sais pas au juste quel grade il convient de lui assigner dans le bataillon sacré des maîtres ; je sais qu'il est un maître, et que vous l'avez trop oublié, vous qui distribuez la gloire. Ce n'est pas une faveur qu'on vous demande ici pour lui, c'est son bien qu'il faut lui rendre : à Frédéric Soulié d'autres devaient une tombe, et leur dette est payée. Nous, les hommes de lettres de France, ce que nous lui devons, c'est l'immortalité !

C'est en réponse au vœu si éloquemment exprimé par M. Paul Féval. que paraît la présente édition des Mémoires du Diable, ce chef-d'œuvre où une verve étincelante le dispute à une imagination prodigieuse, et dont on ne trouvait plus cependant chez les libraires que des réimpressions trop compactes pour être lues par tous les yeux, trop grandes où trop négligées pour prendre place dans toutes les bibliothèques.