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MUSÉE DES FAMILLES ( Août 1835 ) |
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Nous croyons
être agréables à nos lecteurs en leur
donnant, au dix-neuvième siècle, une
idée de la manière dont on entendait le
gouvernement représentatif au seizième. Nous ne
savons si, après cette lecture, on dira encore que nous
sommes dans un siècle de progrès.
C'était au
pont du Saint-Esprit, en 1529. Une foule considérable
était assemblée devant la porte des Frères
du Pont, et des entretiens animés avaient lieu
dans les groupes épars sur la grande place de l'hospice.
Dans quelques-uns on se parlait à voix basse, comme gens qui
s'entendent et prennent une résolution ; ailleurs,
il semblait y avoir des querelles fort animées, comme
adversaires qui disputent.
Cette
différence dans l'aspect des groupes s'expliquait
à l'œil. Les groupes qui paraissaient calmes et
résolus étaient tous composés d'hommes
de même robe et de même habit ; ceux
où l'on bataillait de la voix étaient une
réunion de toutes les robes et de tous les habits. L'opinion
avait alors un costume. D'une part, les trousses de velours, les
manteaux brodés, les toques à plumes, les bottes
éperonnées ; plus loin, les robes
fourrées, les mortiers ; à gauche, les
chausses poires, les souliers de cuir luisant, les chapeaux de feutre,
les longs manteaux de serge ; à droite, les
soutanes avec la croix d'or et le rochet ; enfin, un dernier
groupe où il y avait soutanes, chausses noires, robes
d'hermine et bottes éperonnées. Comme, celui-ci
semblait un résumé de tous les autres, nous
l'écouterons de préférence.
C'était un
homme à chausses noires qui tenait la parole.
—Je vous dis que cela ne sera
pas ; c'est une singulière prétention
que celle du roi François Ier,
avec ses lettres missives par lesquelles il nous envoie des hommes qui
ne sont pas de la province et qui viennent prendre séance
aux états.
—Maître Pierre
Guillelmete, vous devez obéissance au roi de France, ce me
semble.
—Oui, vraiment, monsieur du
Mayrie ; mais le roi doit avant tout respect à nos
libertés. Dailleurs ce n'est point la première
fois que le roi tente cette usurpation, et vous devriez vous souvenir
qu'aux états de Montpellier de 1523, les seigneurs de
Merviel et de Margon ont été expulsés
sans autre façon , malgré leurs missives royales.
Messieurs du tiers, vous fatiguerez la patience du roi. Messieurs de la
cour, le roi fatiguera notre patience. N'est ce pas tous les ans
promesse d'allégement de l'impôt, et tous les ans
augmetation ? Prenez garde, nous serrerons de si
près les cordons de la bourse que vous n'y mettrez plus la
main.
—Vrai Dieu , la pointe d'une
bonne épée y entrera et les coupera , s'il ne les
dénoue, dit M. de Mayrie,
commissaire-général des guerres en Languedoc, et
commissaire du roi près des états.
Pierre Guillelmete ,
avocat, haussa les épaules, et un autre interlocuteur prit
la parole. C'était Raymond Sabattarii,
procureur-général au parlement, qui
s'écria avec vivacité :
—Ni main, ni
épée, monsieur de Mayrie, entendez vous , et le
parlement ne le souffrira pas. Est-ce pour cela que, malgré
nos réclamations, vous maintenez des garnisons dans nos
villes ? Nous l'avons toléré tant qu'a
duré la guerre avec le roi Charles V ; mais
aujourd'hui que la paix est faite, il faudra les retirer, ou sinon...
—Eh bien! quoi? dit M. de
Mayrie.
—Eh bien ! reprit Guillelmete,
nous avons des portes et des chaînes à nos villes,
il me semble ; et les garnisons pourront passer à
l'avenir par le trou de la serrure, si elles veulent entrer.
—Je sais, je sais, messieurs
du parlement, que vous aimeriez mieux les ouvrir à tous huis
aux Espagnols. —Merci de Dieu, monsieur , s'écria
Raymond, nous n'avons jamais ouvert nos portes aux ennemis de la France
si honteusement que vient de le faire le roi pour recouvrer sa
liberté. Il a cédé la Flandre et la
Bourgogne au roi Charles V.
—Oui, oui, dit Guillelmete,
mais nous verrons, nous verrons.
—Et que verrons-nous,
maître ? reprit le commissaire. Pardieu, vous ne
deviendrez point aveugle d'ici à une heure, et vous aurez
alors de quoi ouvrir les yeux. Du reste, voici monseigneur
l'évêque de Viviers, président des
états, qui arrive avec le seigneur de Clermont,
l'évêque de Lodeve et le
receveur-général des finances, vos
colègues ; la séance va
bientôt s'ouvrir, et vous aurez de nos nouvelles.
—Je vais les attendre,
messieurs, dit Mayrie ; puis il se tourna vers un
ecclésiastique qui avait écoute sans rien dire,
et lui dit :
—Pour vous, monseigneur, nous
pouvons compter sur votre parole ?
L'abbé secoua la tête et répondit :
—Ah ! monsieur,
monsieur, si nous n'avions un ministère de paix et de
conciliation sur cette terre, nous aurions beaucoup à dire.
Nous avons généreusement
prêté au roi François le
trésor de Notre-Dame-du-Puy pour payer sa
rançon : ornemens, calices, châsses d'or
et d'argent, tout y a passé, et pourtant tout cela n'a servi
de rien ; car le roi a été
forcé de donner en échange de sa personne ses
deux fils, le Dauphin et le duc d'Orléans; et maintenant,
voilà encore qu'il faut nous imposer deux cent soixante-sept
mille livres pour racheter nos princes. Si la reine mère
Louise de Savoie aimait un peu moins les fêtes et les
mascarades, cet impôt ne serait point si
nécessaire.
—Cela est bien vrai, reprit
avec humeur un homme vêtu d'une longue robe avec une sorte de
laticlave sur l'épaule : elle dansait et riait
à Lyon durant la captivité de son fils et roi, et
nous faisait prier en même temps par René
Ragueneau de supprimer les fêtes et danses, pour
témoigner de la douleur du pays. Maître capitoul,
la ville de Toulouse parle bien haut et rechigne bien souvent, dit
Mayrie. Oui, répondit Bertrand, aussi haut que ses tours, et
toutes les fois que le roi de France la pressure ; tant pis
pour lui si c'est souvent.
—Messieurs, prenez garde que
le roi ne prenne pour commissaires, auprès des
états, de bonnes lances et de braves
épées.
—Comme il voudra, monsieur de
Mayrie, dit le procureur-général, nous prendrons
alors des canons pour huissiers d'audience. Vous savez que ce n'est
point une procédure qui nous effraie, et que lorsque le
noble et vaillant vicomte, M. Jean d'Astarac, ne voulut point
obéir aux arrêts du parlement et s'enferma dans sa
ville, il se trouva en la compagnie des robes rouges un
président qui le somma si durement à mitraille et
à boulets, qu'il lui fallut obéir.
—Sans doute, reprit
Guillelmete, et comme nous ne nous fatiguons pas a porter nos
épées à la ceinture durant toute
l'année, nous sommes d'autant plus dispos quand il faut les
prendre à la main.
—Tout cela sont propos en
l'air, dit l'évêque du Puy; entrons en la salle
basse de l'hospice, voici la séance qui va s'ouvrir.
On entendit alors une
cloche qui appelait les députés à la
séance, et tous y entrèrent tumultueusement.
Chacun y prit sa place selon l'ordre prescrit par le
règlement.
Lorsque tous furent
placés, l'évêque de Viviers
déclara la séance ouverte, et
l'évêque de Lodève prit la parole.
—Messieurs, dit-il, avant de
remettre en délibération les traités
de Cambrayet de Madrid qui vous ont été
présentés par M. le
procureur-général Sabattarii....
SABATARII
(se levant). Pas ainsi, monseigneur, ne changeons
point la position : j'ai présenté le
traité comme particulier chargé, par mandement
exprès du roi, de cette commission. Comme sujet
dévoué de sa majesté, j'ai fait ce
qu'il m'a ordonné de faire ; mon amour pour le roi
accepte la responsabilité de cet acte ; mais comme
magistrat, je secoue cette ordure de ma robe. Quand je vais payer les
dettes d'un ami débauché, j'y vais en chausses
grises et en manteau, le procureur-général reste
chez lui. (Applaudissemens.)
L'ÉVEQUE
DE LODEVE.
Comme il vous plaira, maître Sabattarii ; toujours
est-il que vous connaissez le traité. Donc avant de le
remettre en délibération, j'ai à vous
communiquer des lettres du roi touchant divers objets pour lesquels
vous avez réclamé. Les voici.
BERTRANDI.
Moi je m'oppose à la lecture. Ce sont leurres dont on
prétend nous amuser, sans doute. Promesses de retrait des
garnisons, suppression de la vénalité des
charges, et réduction de 1'aide. Ainsi l'on veut nous
arracher la ratification du traité et l'octroi des deux cent
soixante-sept mille livres ; et cela fait, nous garderons nos
garnisons et le roi continuera à vendre les charges a beaux
deniers comptans, aux plus ignares et aux plus illettrés de
sa cour. Je demande que l'ordre ne soit point interverti.
LE BARON DE VIVARAIS.
Le capitoul Bertrandi a raison ; il est inutile de s'occuper
de choses de menu intérêt avant celle qui
réclame toute notre attention. Il ne faut pas oublier,
messieurs, que la Bourgogne et la Flandre vont être
arrachés de la couronne de France, et nous devons aide
à ces deux pays, comme je suis sûr qu'ils nous le
rendraient si un roi de France voulait donner le comté de
Foix ou de Roussillon à l'Espagne. Passons au
traité.
L'ÉVEQUE
DE LODEVE.
Vous oubliez, messieurs, que ceci ne sont point lettres missives, ni
promesses de bouche, mais lettres patentes que vous devez ouïr
avec respect et obéissance.
L'ÉVEQUE
DE VIVIERS.
Si ce sont lettres patentes, les états sont prêts
à vous entendre.
L'évêque
de Lodève continua et lut plusieurs lettres
patentes : les unes, par lesquelles le roi s'engageait
à ne plus nommer aux places du parlement que sur une liste
d'hommes doctes et sapients à lui
présentée ; les autres,
réduisant la garnison de la province à trois
cents lances au lieu de sept cents, et enfin une troisième
portant : « Que les habitans du Languedoc
ont droit d'avoir parlement et cour souveraine, sans que nul puisse
être tiré hors des termes dudit parlement et dudit
pays »
LE
SYNDIC DE BAUCAIRE.
Vive le roi !
L'AVOCAT
GUILLELMETE.
Voilà-t-il pas un brave citoyen qui crie merci à
celui qui lui rend ce qu'il a volé.
MAYRIE.
Parlez avec plus de révérence et de respect du
roi, notre seigneur, ou sinon, comme vous disiez...
GUILLELMETE.
Révérence parlant, je respecte plus la
vérité que le roi ; et la
vérité, c'est que cette prétendue
libéralité de cour est un droit que nous
possédons sans qu'on nous le donne.
L'ÉVEQUE
DE VIVIERS.
Maître Guillelmete, il n'est besoin d'injurier pour dire la
vérité. Monsieur de Mayrie, les menaces sont des
raisons de peu de poids parmi nous. Continuez, monsieur
l'évêque.
L'ÉVEQUE
DE LODEVE.
Enfin, je dois vous annoncer que le roi doit venir de sa personne
visiter sa bonne province du Languedoc.
BERTRANDI.
Or, sur ce, je demanderai qu'il soit octroyé une somme de
dix mille livres pour le recevoir honorablement, afin qu'il sache que
si nous sommes citoyens fiers et indépendans, il voie que
nous sommes hôtes affables et courtois.
(Applaudissemens sur
tous les bancs.)
L'ÉVEQUE
DE VIVIERS.
Est-ce tout, monsieur ?
L'ÉVEQUE
DE LODEVE.
C'est tout.
GUILLELMETE.
Au traité, alors ; au traité.
L'ÉVEQUE
DE LODEVE.
Vous en connaissez, messieurs, les articles, ceux qui concernent la
cession de la Flandre et de la Bourgogne. Vous connaissez et avez
discuté celui qui impose à la France une somme de
trois millions-soixante-un mille livres, pour être
payées à titre d'indemnité au roi
Charles-Quint. Vous n'oublierez pas que vous n'avez point à
discuter les deux premiers, et que vous n'avez qu'à les
approuver ou les improuver par le refus de l'octroi des sommes qu'on
vous demande.
M. le baron d'Entrefonds. Sur ce sujet, j'ai déjà
proposé d'octroyer les sommes demandées. Car nous
ne pouvons laisser les princes français en
captivité, puisqu'ils servent d'otages au roi Charles-Quint
pour l'exécution dudit traité de Cambrai. Il ne
faut pas que les ennemis de la France puissent insulter aux
héritiers du trône dans les rues de Madrid.
GUILLELMETE.
Vaut-il mieux qu'ils insultent aux Français dans leurs
propres villes ?
UN HUISSIER.
Silence.
LE BARON D'ENTREFONDS.
C'est un malheur qu'il faut savoir subir, un malheur que je n'eusse
jamais subi, si le traité n'était,
signé et consenti. Mais, messieurs, devons-nous laisser
engagée la parole du roi de France, lorsque pour notre part
nous pouvons la libérer pour une somme de deux cent
soixante-sept mille livres ? Ne pensez-vous pas que la honte
de cette forfaiture retombera sur le pays dont il est la
tête ?
SABATARII.
La forfaiture serait d'approuver le traité.
GUILLELMETE.
Quand le roi François écrivit à sa
mère : Madame, tout est perdu fors
l'honneur, il avait raison. En approuvant le
traité, tout sera perdu, même l'honneur.
MAYRIE.
Et si le roi Charles-Quint exige l'exécution de la clause du
traité qui doit rendre le roi à sa prison, s'il
n'est pas approuvé ; vous l'y laisserez donc y
retourner ? Car il a donné sa parole de gentilhomme
et il la tiendra. Que ferez-vous alors, sans chef, sans
tête ? vous serez en proie au gouvernement d'une
régence ; en êtes-vous si satisfaits,
pour en avoir un peu goûté, que vous vouliez y
revenir ? Prenez-y garde : pour ne pas savoir
sacrifier à propos une province, qui vous assure que
bientôt elles ne seront pas toutes envahies. Voyez-vous le
roi François, et les princes prisonniers, le noble Odet de
Foix, notre premier capitaine mort, dites-nous qui défendra
la France contre les entreprises du roi Charles, qui la presse
à la fois au midi et à l'est. Messieurs, tous les
jours d'un royaume comme ceux d'un particulier ne sont pas
heureux : aux jours malheureux, il faut savoir accepter la
misère... et attendre...
GUILLELMETE.
Attendre quoi ? de nouveaux démembremens ?
MAYRIE.
J'en ai assez dit pour que ceux qui portent une
épée m'aient compris.
cris au banc de la noblesse. Sans doute, sans doute.
GUILLELMETE,
à Sabattarii. Ils ont gagné la
noblesse durant la
nuit ; on approuvera.
SABATARII.
Lisez ce que me fait passer M. de Mayrie. (Il lu.)
(Laissez revenir les princes, nous reprendrons la rançon.)
GUILLELMETE (bas).
Vanteries royales, promesses de faux poids ; ce qui sera fait
sera fait. Qu'est-ce donc que cet huissier remet au
président ?
L'ÉVEQUE
DE VIVIERS (après
avoir lu). Messieurs , je vous avertis que les seigneurs de
Laërs, secrétaire du roi Charles-Quint, et Jean de
Falletta, docteur ès droit, viennent de me faire remettre
leurs lettres de créance en qualité
d'ambassadeurs du roi d'Espagne auprès des états,
pour y suivre la ratification du traité. Ils demandent a
être introduits et entendus.
MAYRIE (bas
à l'Évêque de Lodève).
C'est impossible ; ils vont faire quelque vanterie espagnole
qui irritera les états : opposez-vous.
L'ÉVEQUE
DE LODEVE.
Je m'oppose à ce qu'ils soient admis. Ceci est une affaire
entre le roi de France et les états, et, de quelque
façon qu'elle tourne, elle doit être
terminée vis-à-vis de l'Espagne sans division de
pouvoir. Le roi et les états approuveront, ou le roi et les
états refuseront ensemble. Mais il ne se peut pas que l'un
consente et l'autre refuse.
SABATARII.
Voici une étrange doctrine, vraiment, ou plutôt
voilà une étrange conséquence d'une
bonne doctrine. Est-ce, monsieur de Mayrie, que vous contestez aux
états le droit de recevoir des ambassadeurs et de les
ouïr dans leurs propositions.
M. DE
MAYRIE. On n'a
point dit cela.
SABATARII.
Avec qui donc a conféré le roi
François ? N'est-ce pas avec des
ambassadeurs ? Nous sommes-nous opposés a ce qu'il
les entendît ? et ne savaient-ils pas, ces messieurs
les envoyés du roi Charles V, que tout traité,
portât-il le sceau de France, serait nul s'il ne portait le
nôtre.
M. DE
MAYRIE. Ils le
savent si bien qu'ils se présentent pour vous exposer les
droits du roi Charles V, et vous engager à approuver et
ratifier le traité, afin que la guerre ne recommence pas
plus cruelle.
SABATARII.
Pourquoi donc vous opposer à leur
entrée ? Serait-ce, par hasard, qu'on refuse aux
états le droit de recevoir des ambassadeurs et de traiter
directement avec eux des affaires du pays ? Ne sommes-nous pas
une partie égale de l'état aussi respectable et
aussi intéressée à ses affaires que le
roi lui-même ?
L'ÉVEQUE
DE LODEVE.
Qui peut contester ce droit aux états ? Ne sont-ils
pas corps souverain, et, en cette qualité, est-il une
affaire qui puisse s'achever sans leur consentement ? Mais
dans l'état de division qui règne entre le roi et
vous, il est inutile d'appeler nos ennemis pour leur en faire un
trophée et les rendre peut-être plus exigeans.
GUILLELMETE.
Ce que vous appelez division, monsieur, leur prouvera qu'il y a union,
au contraire, et que la France ne se voit point impunément
morceler sans faire résistance.
M. DE
MAYRIE.
Eh ! messieurs, ne savez-vous pas qu'en certaines choses, user
de son droit rigoureux c'est en abuser ? Que
répondrez-vous aux ambassadeurs ?
SABATARII.
Nous commencerons par les entendre, puis nous verrons. Il est bon de
savoir s'il n'y a point en ceci quelque intrigue cachée et
qu'on nous dérobe.
M. DE
MAYRIE. S'il y a
quelque chose à cacher et à dérober,
ce n'est pas aux états... me comprenez-vous, enfin ?
GUILLELMETE.
Très-bien, et messieurs les ambassadeurs aussi vous ont
compris. Ils savent trop que si le traité n'est pas
complètement ratifié par nous, il sera
entaché de nullité ; nullité
que vous laisserez dormir jusqu'à ce que les princes soient
de retour en France, et que vous saurez bien éveiller plus
tard pour vous refuser à l'exécution. Ils savent
bien que le roi François pourra arguer contre ledit acte, de
sa captivité et de la force à laquelle il a
cédé ; aussi viennent-ils s'adresser aux
états, car ceux-ci traitent en entière
liberté et ne sauraient nier leur approbation. Ils sont plus
adroits et mieux appris que vous ne pensez. Aussi s'adressent-ils
à nous, sentant qu'en nous seuls est la véritable
sanction des traités passés avec
l'étranger ? Ne voyez-vous pas qu'ils en usent avec
le roi comme avec un fils mineur, et qu'en adroits
créanciers ils s'adressent à ses tuteurs pour
leur faire accepter ses dettes.
M. DE
MAYRIE. Et, vrai
Dieu, maître Guillelmete, puisque vous y voyez si clair,
pourquoi les recevoir alors, et vous ôter la ressource de
déchirer le traité ?
GUILLELMETE.
Parce qu'il n'y aura rien à déchirer s'il n'y a
rien d'écrit, et que j'espère bien que rien ne
sera accepté.
L'ÉVEQUE
DE LODEVE.
Est-ce donc la guerre et la captivité du roi que vous voulez
voir recommencer ?
L'ÉVEQUE
DE VIVIERS.
Ne reprenons point la dispute. Il est du droit et du devoir des
états d'ouïr les ambassadeurs qui leur sont
envoyés par les rois qui font traités avec la
France. Seulement j'exhorte chacun à écouter
lesdits envoyés en silence, et sans marque de refus ou de
consentement.
Les ambassadeurs furent
introduits et
exposèrent longuement la
générosité du roi Charles V, qui, pour
l'intérêt de la France, lui rendait son roi et lui
prenait deux provinces. Puis ils finirent par dire que le roi Charles V
priait les états de considérer les
désastres d'une nouvelle guerre ; qu'il ne
menaçait point, mais qu'il était plus en mesure
que la France pour faire valoir ses droits ; que depuis deux
siècles la France s'était enrichie de plusieurs
grandes provinces ; et qu'enfin, il espérait que
les états considéreraient qu'il était
temps d'arrêter cette effusion de sang qui
épuisait la population, et cette charge d'impôts
qui desséchait la fortune publique des deux états.
Lorsqu'ils se furent
retirés,
l'évêque du Puy prit la parole, et dit :
—Messieurs, les
dernières paroles des ambassadeurs doivent être
notre règle de conduite. Il nous faut acheter la paix, il
nous la faut acheter à un prix bien
élevé sans doute, mais c'est une leçon
du Seigneur pour nous punir de notre ambition.
GUILLELMETE.
Dites celle du roi.
L'ÉVEQUE
DU PUY.
Messieurs, lorsqu'il a fallu porter la guerre en Italie, et que nous
l'avons espérée heureuse, nous avons largement
octroyé l'aide et l'équivalent, et nous nous
sommes réjouis, n'est-ce pas vrai ? ( Silence
général. ) Aujourd'hui qu'elle est
malheureuse, vous en voulez jeter toute la faute sur le roi :
cela n'est ni juste, ni généreux. Nous avons
partagé la chance, nous devons fournir à la perte.
GUILLELMETE.
Et nous fournissons tout. Qu'a payé le roi, s'il vous
plaît ?
MAYRIE.
Il a payé de sa personne et de son
épée, sa dette est acquittée.
L'ABBÉ
DU PUY.
Certes, et nul ne lui conteste le titre d'homme vaillant. Mais il m'est
avis qu'étant en captivité , il eût
dû laisser aux états a commencer les
négociations pour sa rançon. Mais encore en ceci
trouverait-on peut-être que la reine Louise de Savoie est
plus coupable que le roi François 1er; cependant ceci est
une faute pour laquelle il faut être indulgent, et ne
considérer que le désir qu'elle avait de voir son
fils de retour parmi ses fidèles sujets ; or donc
je suis d'avis d'approuver et de ratifier le traité, pour le
salut et la liberté des princes ; mais de ne
l'approuver et ne le ratifier qu'avec blâme et
réserve, pour notre honneur et indépendance, et
parce qu'il nous est impossible de faire autrement.
Cette opinion de juste milieu
entraîna tous les partis. Les amis les plus
dévoués du roi crurent lui avoir beaucoup obtenu,
et les opposans considérèrent cela comme un
lâche abandon des libertés des états.
Ce fut après cette discussion que fut
rédigé l'acte dont nous donnons le texte officiel
à nos lecteurs.
RATIFICATION DU TRAITÉ
DE CAMBRAY PAR LES ÉTATS
DE LANGUEDOC.
Nous, les gens des trois
estats, comme
l'église, nobles et commun estat, représentans le
corps mystique de la chose publique du pays de Languedoc ;
sçavoir faisons, que par l'ordonnance et commandement du roy
nostre seigneur, nous sommes congreguez et assemblez en la ville du
Pont-Saint-Esprit, le sixième jour de ce présent
mois de novembre, pour ouyr et entendre les causes de ladite
assemblée, garnis de pouvoir suffisant, pour conclure et
accorder cc qu'il sera advisé et
délibéré en ladite
assemblée ; et illec nous a esté leu de
mot à mot, le traicté de paix, amitié,
confédération, et alliance perpétuelle
naguères fait, conclud et accordé en la ville de
Cambray, entre le roi nostredit seigneur, et l'esleu empereur , et tous
et chacuns leurs royaumes, pays, terres seigneuries, vassaux et
subjects, par très-haultes, très-excellentes et
illustres dames et princesses madame Loyse, duchesse d'Angoulmoys et
d'Anjou, comtesse du Mayne, mère du roy, nostredit seigneur,
ayant sur ce ample pouvoir du roy nostredit seigneur, et madame
Marguerite, archiduchesse d'Austriche, duchesse douairière
de Savoye, ayant aussi pouvoir dudit esleu empereur, son
neveu ; ensemble le traicté qui auparavant ledit
traicté de Cambray fust faict en la ville de Madrid en
Espagne, lesquels traictez de Cambray et celluy dudit Madrid, en ce
qu'il n'est mie changé et innové par celluy dudit
Cambray, le roy nostredit seigneur est tenu, a promis faire ratifier et
approuver par les estats particuliers des provinces et gouvernemens de
sondit royaume, et par iceux faire jurer et promettre la
perpétuelle observance d'iceux traictez. Nous,
après avoir ouy et entendu la lecture desdits
traictez ; et obéissant au bon voloir et plaisir du
roy nostredit seigneur, que sur ce il nous a fait dire et
déclairer par messeigneurs les commissaires ordonnez par
icelluy seigneur, pour assister à la convention et
assemblée des estats de ses pays de Languedoc, mandez en
sadite ville du Pont-Saint-Esprit, le quatrième jour de ce
présent moys ; nous avons, de nostre part, et en
tant que à nous est, ratifié et
approuvé, ratifions et approuvons ledit traicté
de Cambray, et celluy dudit Madrid, en ce qu'il n'est mie
changé ou innové par le traicté dudit
Cambray, et juré solanemnellement aux saints
évangiles de Dieu, pour et par nous manuellement
touchés, que iceulx traictez nous garderons, observerons et
entretiendrons, de nostre part, perpétuellement et
inviolablement selon leur forme et teneur, sans enfreindre ne aller au
contraire, en quelque manière que ce soit. En
témoins des choses susdites, nous avons fait signeriees
présentes,et sceller du seing et scel du R. P. en Dieu mons.
de Viviers, président auxdits estats, et du seing du
greffier desdits estats.Fait et passé en ladite ville du
Pont-Saint-Esprit, ledit sixième jour du moys de
novembre : l'an mil cinq cens vingt-neuf, et avant que passer
et accorder ladite ratification, icelle passant et aussi
après, lesdites gens des états, ont
protesté que, par commandement à eulx faict, et
pour obéir à iceux, et à la
volonté du roy, et propter met in reverentialem, et par
crainte révérentielle, ils accordent et font
ladite ratification, alias non facturi, ne pouvant faire
autrement ; et que pour et à l'occasion desdites
ratification et approbation, lesdits pays et habitans ne soient
surchargez pour l'alvenir, outre la part et portion qui les touche, ou
pourra toucher, de l'estât général de
tout le royaume ; soit charge générale,
comme ou particulière, ordinaire ou extraordinaire, ne en
quelque autre qualité que ce soit, par laquelle peut estre
préjudice aux privilèges, libertez et franchises
dudit pays, et que par ledit seigneur leur soient baillées
et expédiées lettres de indemnité en
la forme et manière que leur ont esté
baillées pour la ratification des traictez faicts et passez
avec le roy d'Angleterre.
FRÉDÉRIC
SOULIÉ.
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