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MUSÉE DES FAMILLES ( Septembre 1841 ) |
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Parmi les
antiques coutumes de l'Université de Toulouse, il en
était une qui s'était continuée
jusqu'à la fin du dix-huitième siècle,
quoiqu'elle fût tout à fait en
désaccord avec les habitudes universitaires de ce temps.
Lorsque l'Université était un pouvoir dans
l'État, ayant ses droits, ses privilèges et sa
juridiction propre, elle avait souvent été
obligée de soutenir ses prétentions par la
force ; dans cette nécessité, elle avait
entretenu parmi les écoliers un certain esprit de corps
très-soumis vis-à-vis d'elle, mais
très-impérieux et très-turbulent
vis-à-vis des autres classes ; et pour que les
écoliers pussent au besoin soutenir ces
prétentions, elle avait permis et même
encouragé parmi ces jeunes gens des occupations qui
paraissaient devoir être exclues des calmes études
auxquelles elle présidait. Ainsi chaque année
l'Université donnait un prix d'escrime à celui
des étudians qui était proclamé
vainqueur dans un assaut qui avait lieu en présence du
parlement et des capitouls et auquel les plus nobles dames avaient
coutume d'assister. Ce prix donnait à celui qui l'avait
remporté, le droit de porter l'épée,
quoiqu'il ne fût pas gentilhomme.
C'était la
veille de ce grand jour ; dans le salon d'un de ces vieux
hôtels qui peuplent encore la ville de Toulouse,
étaient assis, chacun dans un vaste fauteuil, un homme de
soixante ans à peu près, d'un visage triste,
maigre, soucieux, et une femme d'une quarantaine d'années,
belle encore, l'air superbe et très-satisfait
d'elle-même. C'était le conseiller Delporte et sa
femme, autrefois Mlle
de Maletroit, que la
pauvreté avait
contrainte à se mésallier en unissant son antique
noblesse d'épée à la race bourgeoise
du conseiller.
Elle regardait son
époux avec une attention mécontente, tandis que
celui-ci poussait de temps à autre de grands soupirs vers le
ciel. Enfin elle se décida à parler, et, comme
d'habitude, elle commença l'entretien sur une querelle.
—Vous devenez tout
à fait
insupportable, monsieur, avec vos airs de malheur. Voilà un
quart d'heure que vous êtes de retour à
l'hôtel, et je n'ai entendu encore de vous qu'un bonjour fort
sec, et depuis ce temps des lamentations
étouffées. Qu'avez-vous ? que vous
a-t-on fait ?
—J'ai, dit le conseiller en se
levant, que je suis fort
mécontent.
—Et peut-on savoir de quoi?
—De votre fils, madame.
—Du chevalier, de mon bon
Henri !, reprit la
conseillère en donnant à sa voix un accent
d'amour maternel et d'admiration qui devait nécessairement
déplaire à son mari.
—Oui, madame, reprit le
conseiller en contrefaisant les
intonations de sa femme, de votre chevalier qui ne l'est pas, de ce bon
Henri.
M. Delporte reprit tout
d'un coup sa voix sèche et grave et continua :
—Je viens des examens, madame,
et il n'y a pas un de mes
confrères, il n'y a pas un procureur, dont les fils n'aient
montré plus d'instruction et d'étude que le
vôtre. J'en ai été honteux pour lui,
qui ne l'était guère et qui narguait encore. On
m'avait promis de le nommer demain à la distribution des
titres pourvu qu'il répondit passablement ; mais on
n'est pas plus ignorant.
—Ne craignez rien, monsieur,
répliqua la
conseillère avec une dédaigneuse
supériorité, mon fils obtiendra la seule
distinction qu'il ait voulu obtenir, et demain il aura le droit de
porter l'épée.
—Et à quoi cela lui
servira-t-il ?
—A prouver qu'il a du
véritable sang noble dans
les veines.
—Ce qui ne
l'empêchera pas d'être un
âne fieffé.
—Un âne
fieffé, s'écria la
conseillère avec une surprise furibonde ; mon fils
un âne fieffé !
—Oui, madame,
répéta le conseiller, et
par votre faute.
—Monsieur !
—C'est vous qui l'avez
encouragé dans sa paresse
et ses désordres; il n'a rien voulu faire, et il ne sera
rien.
—Il sera officier au service
du roi, reprit Mme
Delporte ; il sera ce que je désire qu'il soit.
—A votre guise, dit le
conseiller. Il faut bien que j'y
consente, puisqu'il n'est bon qu'à cela, si même
il en est capable.
—Vous verrez demain comment il
tient une
épée.
—Il trouvera de rudes
antagonistes.
—Il n'est pas un gentilhomme
qui ne reconnaisse sa
supériorité.
—Oui, mais les bourgeois ne
sont pas de cet avis, et il y a
le fils d'un certain drapier...
—Qu'est-ce que
c'est ? Un drapier !
s'écria la conseillère... un drapier... Que
faites-vous là, Marie ? reprit-elle tout
à coup avec colère, en voyant à deux
pas d'elle une jeune fille qui semblait écouter.
—Je venais vous dire, ma
mère, que mon cousin, M.
de Maletroit, désirerait vous voir.
—Pourquoi n'entre-t-il
pas ?
—Je ne sais, je ne puis vous
le dire, reprit la jeune fille
avec embarras ; il m'a rencontrée dans la salle, il
m'a retenue, il voulait me forcer à lui
répondre... et je me suis échappée
pour vous dire...
—Rien qui vaille,
s'écria, en passant la
tète par la porte, un grand gaillard de six pieds, en
uniforme du régiment de Provence, et. qui acheva la phrase
de la jeune fille. Que diable ! continua-t-il, on est cousins
ou on ne l'est pas, et on peut causer sans s'effaroucher comme un
hochequeue. Monsieur le conseiller, votre serviteur, belle tante, je
suis à vos pieds. Où est donc Henri ?
—Il va rentrer, je suppose,
dit Mme Delporte.
—Il est encore aux examens,
reprit le conseiller d'un air sec.
—Et c'est à cela
qu'il perd son temps, dit le
capitaine de Maletroit, la veille d'une affaire sérieuse.
Quand je lui ai dit que je viendrais lui donner une dernière
leçon d'escrime, une leçon triomphante.
—Sa mère
prétend qu'il n'en a pas
besoin, dit M. Delporte avec un ton de sarcasme.
—Si, belle tante, il en a
besoin ; il vise trop
à toucher. Il faut être adroit, j'en
conviens ; mais avant tout il faut être beau. Il ne
se développe pas assez. Il a les jambes bien, la cambrure
élégante, mais il ne sait pas montrer ses
avantages. Quand je lui aurai montré une pose dans le genre
de celle-ci, vous ne le reconnaîtrez plus.
Et le capitaine
accompagna ces paroles d'une démonstration physique ou il
faisait ressortir toutes ses beautés. A ce moment, Henri
entra. C'était un beau jeune homme, un peu pâle et
fatigué, d'une allure élégante, mais
un peu abandonnée. Il salua son père avec un
respect très profond mais craintif, sa mère avec
une tendresse affectueuse, fit un signe d'amitié
à sa sœur et tendit la main à M. de
Maletroit et lui dit immédiatement :
—Je vous remercie, Hector, de
l'intention qui vous
amené; mais je ne profiterai pas de votre bonne
volonté : je ne me présenterai pas
demain à l'assaut.
—Et pourquoi ?
s'écrièrent
ensemble M. de Maletroit et la conseillère.
—Je n'ai aucune chance de
réussir, et je
réussirais, que j'en serais fort peu flatté.
Le capitaine et la
conseillère eurent beau tourmenter Henri pour savoir
d'où lui venait cette résolution, si contraire
à ce qu'il avait dit depuis quelque temps ; ce fut
en vain.
M. Delporte, qui avait d'abord attribué ce parti
à un caprice sans raison, remarqua dans la
manière dont Henri se défendit, une sorte de
tristesse et de découragement. Il désira en
savoir la cause et, espérant que la mortification qu'avait
éprouvée Henri le matin, lui avait
peut-être fait faire de sérieuses
réflexions, il chargea sa fille Marie de l'interroger. Mais,
malgré l'amitié confiante qu'Henri
éprouvait pour sa soeur, il persista dans ses
réponses évasives ; seulement, lorsqu'elle lui
dit :
—Henri, ce n'est point par
dédain que tu n'iras
pas à l'assaut, c'est quelque chose de bien triste qui t'en
empêche.
Henri la regarda un moment d'un air égaré et lui
dit :
—Oui, Marie, c'est
triste ; c'est affreux.
Et comme, sur cette parole, Marie voulut
insister, Henri la quitta et s'enferma chez lui.
Le soir venu, M.
Delporte ayant demandé à sa fille le
résultat de sa conversation, celle-ci le lui apprit et lui
fit part des craintes que la conduite de son frère lui
faisait éprouver. Mme
Delporte
monta chez son fils et le
trouva couché. Il refusa de lui répondre, mais si
son cœur avait été plus clairvoyant,
elle aurait reconnu dans la tristesse amère avec laquelle
son fils lui répondait qu'il la rendait en
lui-même responsable de ce qui lui était
arrivé.
Le lendemain, jour de
l'assaut, un domestique apprit au conseiller que son fils
était parti dès le matin sous prétexte
d'aller à la chasse. Mme
Delporte espérait
toujours que son fils changerait d'avis et qu'il reviendrait au moment
de l'assaut, et résolut d'y assister. M. de Maletroit l'y
accompagna ainsi que Marie, tandis que M. Delporte allait s'asseoir
à côté des autres magistrats. Ce fut un
désappointement pour tout le monde que l'absence de Henri,
car il était le seul qu'on trouvât capable de
soutenir la lutte contre François Maniès, le fils
d'un des plus riches drapiers de la rue de la Pomme. C'était
un jeune homme à l'air franc, ouvert, et en même
temps assez vantard. Lorsqu'il eut vaincu son dernier adversaire, il se
posa dans la lice et se tourna fièrement de tous
côtés comme pour demander s'il n'y avait plus
personne qui osât lui disputer le prix et ses yeux
s'arrêtèrent du côté de Mme
Delporte et sur M. de Maletroit. Celui-ci trouva le regard fort
impertinent, et dit assez haut pour être entendu :
—Si c'était autre
chose qu'un marchand, je
voudrais lui
prouver qu'il ne tient pas assez bien un fleuret pour porter une
épée.
—C'est ce que vous pourrez
voir quand je
l'aurai reçue, répondit tout haut
François.
—Oui, mais quand tu l'auras
reçue, dit une voix au moment où le
président allait admonester les deux interlocuteurs, et l'on
vit Henri entrer dans la partie de la salle
réservée au combat.
Son arrivée
fut un grand événement,
car on comprit que la lutte allait enfin être
brillante, mais
on remarqua avec surprise que Henri était pâle et
avait l'air fatigué, ces vêtements
étaient en désordre et son regard avait quelque
chose d'égaré.
Malgré cela,
il parait que François le
considérait comme un adversaire digne de lui, car il prit un
nouveau fleuret et bientôt le combat commença. De
la part de Maniès, ce fut longtemps une attaque prudente et
réservée, tandis que Henri lui portait les coups
avec une précipitation
désespérée. Cette façon
devait assurer la victoire à François, mais tout
à coup, au moment où il semblait que la lutte
allait également s'animer des deux parts, Henri chancela, et
tomba évanoui. On craignit que dans le mouvement rapide, des
deux fleurets, celui de François ne se fut
démoucheté et qu'Henri n'eût
été blessé. On
s'élança vers lui, on ouvrit sa chemise, et on
remarqua que du sang tachait sa chemise au poignet droit. On
défit cette chemise, et on vit le poignet entouré
de bandes de linge fortement serrées ;
c'était une
blessure antérieure qui avait été
pansée, et qui s'était rouverte par l'effort
qu'avait fait Henri.
On l'emporta chez lui, et
malgré les réclamations
de M. Maletroit, le prix fut donné à
François, qui reçut des mains du
président l'épée qu'il devait
désormais porter.
Le capitaine, furieux de
cette décision, voulut s'en venger
et attendit Maniès à la sortie du parlement,
pendant que l'on continuait la séance où on
allait distribuer des prix d'un autre genre.
Malgré son
inquiétude, M. Delporte n'avait point
quitté son poste ; c'eût
été,
selon lui, manquer à la dignité de son titre, que
de paraître ému d'un
événement de famille lorsqu'il avait un devoir
à remplir, si minime qu'il pût être.
François,
accompagné de son père et de
ses parents, qui avaient assisté à la
séance, traversait la place du Capitole lorsqu'il sentit
qu'on frappait avec une badine sur l'épée qu'il
portait ; il se retourna vivement et vit M. de Maletroit qui
lui dit
insolemment :
—Qu'est-ce que c'est
ça, une aune dans un
fourreau ?
—C'est une
épée !
s'écria le jeune
Maniès.
—Est-elle aussi longue que ma
badine,
repartit le capitaine en présentant un petit jonc qu'il
tenait à la main de manière à en
frapper François à la joue.
—Elle est assez aiguë
pour vous
traverser le coeur, dit François en tirant son
épée avec fureur.
—C'est ce que je veux bien
vous
permettre d'essayer si vous voulez me suivre derrière le
rempart.
Le rendez-vous fut
accepté, mais la scène avait
été si publique, qu'une multitude
considérable suivit les combattants, et parmi eux, le
père de Maniès, qu'on ne put empêcher
d'être témoin de cet affreux spectacle. Son
anxiété ne fut pas longue ; à la
troisième botte, M. de Maletroit reçut un coup
d'épée dans le coeur, qui l'étendit
mort.
Quelques amis se
chargèrent de cacher
François, qui venait d'encourir une peine
sévère pour avoir tué un gentilhomme,
et M. Maniès, au lieu de rentrer chez lui, voulut aller
immédiatement faire la déclaration de ce qui
venait de se passer à l'un des membres du parlement,
espérant que la gravité et la
publicité de la provocation, attestée par plus de
trente témoins qui le suivaient et qui être
eussent reculé plus tard, pourrait servir d'excuse
à son fils.
Mais les premiers
magistrats chez qui il se présenta
étaient tous au Capitole et ne devaient pas rentrer, attendu
qu'après la séance il y avait un dîner
de gala, comme on appelait alors ces festins solennels. M.
Maniès allait renoncer à faire cette
déclaration le jour même, lorsqu'il rencontra M.
Delporte, rentrant chez lui à pied, mais en robe et
accompagné de deux assesseurs, ce qui le constituait dans
l'exercice de ses fonctions. Le conseiller n'avait pas
quitté la séance, mais il s'était
dispensé d'assister au banquet. M. Maniès
l'accosta, et le conseiller, toujours rigide observateur de ses
devoirs, lui dit qu'il était prêt à
l'entendre, et rentra chez lui accompagné de M.
Maniès et de ses témoins.
Déjà
la maison
était en rumeur, car on avait eu toutes les peines du monde
a faire revenir Henri de son évanouissement. Mme
Delporte,
en voyant tout ce monde traverser la cour de l'hôtel, alla
au-devant de son mari et lui dit, malgré la
présence de tout ce monde :
—Enfin, vous voilà,
monsieur ;
votre fils se meurt, et vous n'avez pas cru devoir quitter le parlement.
M. Delporte
pâlit, mais il
répondit d'une voix calme :
—Retournez donc
près de lui,
madame, car je ne puis encore le voir, j'ai à recevoir la
déposition de M. Maniès.
—M. Manies !
s'écria Mme
Delporte, le père de ce
manant qui a profilé de ce que mon fils avait
été blessé au bras par les morsures
d'un loup ; laissez-le cet homme et son engeance, à
qui on a
donné une épée qu'elle est incapable
de porter.
—Elle en est capable, madame,
s'écria le
père
Maniès, furieux du ton de mépris de Mme
Delporte,
et l'engeance vient de le prouver à M. votre cousin de
Maletroit, qui maintenant n'insultera plus personne.
Cette nouvelle fit
oublier un moment à Mme
Delporte le
danger de son fils, et, accablant le marchand d'injures, elle pressa
son mari de recevoir la déposition et annonça
qu'elle et tous les Maletroit poursuivraient cette affaire
jusqu'à la mort du coupable.
Si M. Delporte
eût été un homme
à être influencé par aucune
considération particulière, l'acharnement de sa
femme l'eût peut-être rendu plus indulgent pour
François ; mais le conseiller avait,
vis-à-vis du
duel, des principes arrêtés, et malgré
tout ce que purent dire les témoins sur la brutale agression
de M. Maletroit, il déclara à M. Manès
qu'il poursuivrait François avec toute la rigueur voulue. M.
Maniès se retira désespéré,
et le conseiller monta chez son fils. Henri était plus
calme, et il raconta qu'étant allé à
la chasse dans un bois, il s'était assis près
d'un arbre et avait déposé son fusil
près de lui et que tout à coup un loup
s'était élancé sur lui et l'avait
mordu avant qu'il eût eu le temps de l'armer.
Ce conte ne parut pas
satisfaire M. Delporte ; il éloigna
tout le monde et demeura avec son fils, avec lequel il eut un long
entretien. Puis il rentra dans son cabinet pour y rédiger un
rapport sur la déposition qu'il avait reçue.
La nuit était
venue et il venait de finir ce rapport,
lorsqu'on lui annonça que deux hommes voulaient absolument
lui parler ; sa femme était avec lui, mais
malgré
ses instances il avait positivement refusé de lui faire part
de ce rapport ; elle se retira avec colère au
moment ou l'on
introduisit ces deux hommes. Cependant elle eut le temps de
reconnaître M. Maniès et son fils ; son mari crut
remarquer qu'elle leur avait adressé un geste de menace. M.
Delporte sembla frappé de stupeur en voyant M.
Maniès et son fils, mais il leur demanda cependant ce qu'ils
désiraient. Le ton de M. Maniès était
bien différent de celui du matin. Il regarda le magistrat en
face d'un air de bravade, et lui dit presque avec insolence:
—Je suis
fâché de vous
déranger,
monsieur le conseiller, mais mon métier est de vendre et le
vôtre de recevoir des déclarations, et j'en ai une
nouvelle à vous faire.
—Jeune homme, dit le
conseiller à
François, j'ai
besoin de monter chez mon fils pendant cinq minutes, je vous laisse
seul ici avec votre père.
En disant cela, il quitta
son cabinet et
alla chez sa femme, qu'il trouva occupée à
écrire.
—Que faites-vous ?
lui dit-il.
—J'avertis le
prévôt que le meurtrier d'Hector est dans votre
maison.
—Et pourquoi faire ?
—Pour qu'il n'en puisse
sortir, car je
vous ai deviné, votre intention est de le laisser
échapper.
M. Delporte prit la
lettre, la déchira malgré les
représentations de sa femme, et sembla
écouter avec anxiété si
quelqu'un entrait dans
l'hôtel ou en sortait. Nul bruit ne se fit entendre.
Il quitta sa femme et
rentra dans son
cabinet. M. Maniès père y était encore
avec son fils.
—Vous ne m'avez pas compris,
monsieur,
lui dit le conseiller, que la volonté de Dieu s'accomplisse.
—Eh bien oui, dit M.
Maniès, d'un air de triomphe,
que la
volonté de Dieu s'accomplisse ! Monsieur le
conseiller, vous
avez été juste envers moi ce matin ; mon
fils a
commis un crime et il doit en être puni, aussi vous voyez que
je vous l'amène ; mais son crime n'est pas le seul
qui ai
été commis aujourd'hui à Toulouse.
Pendant que j'étais au Capitole avec mes apprentis et que
ma maison était seule, on s'y est introduit par-dessus le
mur de la cour, qui est mitoyen avec celui d'une maison qui n'est pas
habitée et qui vous appartient ; on a
forcé les
portes, brisé ma caisse et volé mille louis qui
s'y trouvaient. Le voleur n'a pas cependant fait cela sans trouver de
résistance, car il a été
obligé de tuer mon chien Castor, qui a dû le
mordre cruellement, car il avait la gueule pleine de sang. C'est un
chien grand à peu près comme un loup, et dont les
morsures sont aussi profondes, ajouta M. Maniès en regardant
ironiquement M. Delporte.
—Est-ce tout, monsieur, dit M.
Delporte
avec un calme presque effrayant.
—Si ces preuves ne suffisaient
pas, dit M. Maniès
d'un ton
moins assuré qu'en commençant, si ces preuves ne
suffisaient pas vu l'espèce d'alibi que le coupable a voulu
établir en se montrant immédiatement
après le crime dans un lieu ou vous étiez
vous-même, si ces preuves, dis-je, ne suffisaient pas
contre...
M. Maniès s'arrêta.
—Contre mon fils, dit le
conseiller froidement.
M. Maniès resta confondu et ajouta en balbutiant :
—Ce
pistolet abandonné par le coupable...
—Voyons, dit M. Delporte.
Il prit le pistolet et l'examina.
—Ce pistolet est chargé?
—Oui, monsieur le conseiller.
—C'est bien.
M. Delporte sonna, et, de la voix dont il eût
donné un ordre indifférent, il remit le pistolet
à un domestique et lui dit :
—Allez demander à
mon fils
s'il reconnaît cette arme pour lui appartenir.
M. Maniès, qui s'imaginait que le conseiller allait nier et
que, dans le débat, il lui arracherait une promesse de
sauver François, commença à se croire
pris dans un piège, et lui dit en tremblant :
—Mais, monsieur le conseiller,
ce n'est
pas cela que j'attendais.
—Qu'attendiez-vous donc?
—J'espérais………….
Je croyais que pour votre
honneur……………..
que pour votre fils…….
—Ma porte a
été
libre pendant cinq minutes.
—Et bien, je retire ma
plainte...
laissez-nous partir ...
Le conseiller parut hésiter ; mais presque
aussitôt
le domestique reparut en disant :
—M. Henri a reconnu celte arme
comme lui
appartenant.
Il y eut un moment d'affreux silence.
—Vous voyez bien,
s'écria M.
Maniès, que j'avais le droit d'attendre de vous
Une détonation se fit
entendre, et M. Delporte répondit :
—Vous aviez le droit
d'attendre justice ;
elle est faite d'une part, et elle se fera de l'autre.
On entendit
bientôt des cris et un tumulte affreux dans la
maison. Henri s'était fait sauter la cervelle. Un mois
après, François fut pendu comme meurtrier de M.
Maletroit.