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MUSÉE DES FAMILLES (Décembre 1833 )

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La Chapelle souterraine de Bethléem

par M. Frédéric Soulié.



Or il arriva que l’empereur Auguste publia un édit pour ordonner un dénombrement de tous ceux qui étaient soumis à la puissance romaine. Chacun devait se rendre à la ville d’où sa famille tirait son origine pour s’y inscrire. Or Joseph et Marie étaient de la famille royale de David, ils étaient donc obligés d’aller à Bethléem où David avait pris naissance. Un si long voyage leur était bien pénible surtout pour Marie ; cependant ils obéirent l’un et l’autre à l’édit de l’empereur et partirent sans hésiter. Il était fort tard lorsqu’ils arrivèrent à Bethléem. Déjà une foule de personnes y étaient venue pour se faire inscrire. Toutes les maisons étaient remplies d’étrangers, et Joseph chercha, pour lui et son épouse, une hôtellerie où ils puissent passer la nuit. Mais leur aspect misérable les fit repousser de tous. Les hôtelleries étaient pleines d’étrangers ainsi que les maisons, et aucun ne voulut se resserrer pour faire place à de si pauvres voyageurs. Ainsi, rejetés et méconnus, mais forts de l’esprit de Dieu qui les animait, Joseph et Marie se retirèrent dans une grotte qui servait d’asile aux bergers et d’étable à leur troupeau.

« Pendant qu’ils étaient en ce lieu, il arriva que le temps auquel elle devait accoucher s’accomplit. Et elle enfanta son enfant premier-né, et, l’ayant entouré de langes, elle le coucha dans une crèche parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie. » (Saint Luc, chap. 2.)

La nuit était avancée, tout dormait à Bethléem, seulement quelques pauvres bergers se trouvaient dans les champs et veillaient à la garde de leurs troupeaux. C’était dans cette même contrée où le berger David avait fait paître ses brebis avant de devenir roi. Comme les bergers parlaient entre eux pendant la nuit obscure, une clarté brillante, qui effaça la lune et les étoiles, les environna soudainement, et un ange du Seigneur leur apparut dans toute la pompe du ciel. Les bergers épouvantés se prosternèrent, mais l’ange leur dit avec douceur : Ne craignez point et écoutez. Je vous annonce une grande joie. Cette nuit même, en la cité de David, un sauveur vous est né. Voici en quels signes vous pourrez le reconnaître. Vous trouverez un enfant environné de lange et couché dans une crèche.

Aussitôt que le messager de Dieu eut ainsi parlé, une multitude innombrable d’anges se répandit dans les airs, comme une armée éblouissante de splendeur et de lumière, et tous, avec une voix céleste et une musique divine, louèrent le Seigneur et se prirent à chanter : Gloire à Dieu au plus haut des cieux : Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.

Voilà le berceau de cette religion qui gagne le monde, aujourd’hui comme autrefois, lentement mais invinciblement. A ceux qui disent qu’elle est impuissante, parce qu’elle n’est pas rapide à leur gré, on peut répondre que toute chose est vite accomplie pour celui qui a l’éternité devant lui ; et l’on appliquerait encore justement à cette conquête de Dieu le mot solennel qui explique si hautement sa justice : patiens quia æternus, patient parce qu’il est éternel.

326 ans plus tard, Sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin le Grand, visita les lieux saints et fit construire à cette place l’église qu’on y voit encore. Nous ne savons pas que personne n’ait encore fait cette remarque, que ce fût une hôtellerie parvenue à la dignité impériale, qui éleva ce temple à l’enfant qui n’avait point trouvé d’asile dans une hôtellerie. Sainte Hélène, dans sa jeunesse, avait été hôtelière en Drépane en Bithynie.

Après avoir précipité sur l’Orient la moitié des populations de l’Europe, ce lieu n’est plus aujourd’hui confié qu’à la vertueuse résignation de quelques hommes. Comme trois fleuves remontés vers leur source unique, et dont les eaux réunies et mêlées ensemble ont perdu la teinte qui les distingue dans les pays lointains où elles coulent divisées, vivent près du lieu saint, dans une parfaite union, trois communautés chrétiennes, une de latins ou catholiques, une autre de grecs, une troisième d’arméniens. Elles se sont divisées l’église de Bethléem comme le monde.

Cette église est faite en forme de croix ; la longue nef, ou plutôt le pied de la croix, est orné de quarante-huit colonnes d’ordre corinthien, de marbre blanc et d’une seule pièce. Cette partie de l’église, séparée du reste par un mur, appartient à la communion chrétienne des arméniens. Après ce mur, et après avoir monté trois marches, on voit le cœur ou si l’on veut le sommet de la croix. Là se trouve sur le pavé une étoile en marbre perpendiculairement au-dessus de l’endroit de l’église souterraine où est marquée la place où naquit Notre Seigneur, et qu’on dit être correspondante à celle où s’arrêta l’étoile qui guida les Mages à l’adoration du Christ. Ce chœur ainsi que les deux nefs formées par la traverse de la croix appartiennent à la communauté grecque.

C’est dans ces deux nefs que se trouvent les deux escaliers qui conduisent à l’église souterraine de la crèche qui est réservée aux Latins et dont nous donnons une image à nos lecteurs.

La chapelle
Comme on voit, elle est taillée dans le roc. L’autel qui est sur le premier plan, à gauche de cette gravure, est le lieu où la Vierge enfanta le Rédempteur des hommes ; plus loin, après avoir passé l’un des escaliers qui montent à l’église supérieure, on trouve à droite la crèche où fut posé le dieu qui venait de naître. C’est du côté vers lequel sont prosternés tous les assistans que se trouve un bloc de marbre blanc, creusé en forme de berceau, qui marque l’endroit précis où était placée la crèche. En face de cette crèche, cet autel où deux hommes paraissent appuyés et devant lequel brûlent une seule lampe et un cierge, cet autel est la place où la Vierge offrit l’enfant Jésus à l’adoration des Mages. Cette église ne prend aucun jour du dehors et est éclairée par la lumière de trente-deux lampes envoyées par différens princes chrétiens ; la plus magnifique est un présent de Louis XIII.

De nos jours, trois Français célèbres ont visité ce saint lieu. M. de Volnay, voyageur statistique et philosophe qui n’a voulu voir que du marbre et du ciment dans ce temple prodigieusement debout parmi les peuples ennemis de notre foi et qui n’en a mesuré la hauteur qu’avec le mètre mathématique décrété par la Convention. Après lui, M. de Chateaubriand qui ne veut plus prêter sa plume qu’aux combats qu’il croit devoir au triomphe de la légitimité, et M. de Lamartine, dont un grand malheur a consacré le pèlerinage et dont nous eussions fait entendre la voix si elle ne sanglotait encore sur le cercueil de sa fille morte.



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