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MUSÉE DES FAMILLES (Décembre 1834 ) |
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L'histoire
présente de singuliers rapprochemens, et il y a des
événemens qui offrent une si notable
ressemblance, qu'on pourrait s'imaginer presque qu'ils sont
ordonnés par une fatalité immuable, et qu'ils
sont la destinée inévitable de certaines
familles. L'un des plus curieux parmi ces rapprochemens est sans
contredit celui qu'on a fait des circonstances identiques qui se sont
passées dans la famille royale des Capets , toutes les fois
qu'une des branches de cette famille est arrivée au
trône. Ainsi, la succession de trois frères au
trône de France a toujours
précédé l'extinction ou l'exclusion de
la branche ancienne, au moment où elle a fait place
à une branche nouvelle. Philippe-le-Bel meurt : il laisse
quatre fils : trois de ces fils occupent le trône l'un
après l'autre, Louis-le-Hutin d'abord, Philippe-le-Long
ensuite, Charles-le-Bel le dernier. La branche des Capets
s'éteint, celle des Valois la remplace. Lorsque celle-ci a
accompli son temps de règne, elle perd le sceptre en passant
par les mêmes circonstances que la branche qu'elle a
remplacée. Henri II laisse quatre héritiers ; sur
ces quatre héritiers, trois deviennent rois de France ;
François II, Charles IX, Henri III : les Valois finissent,
les Bourbons commencent. Nous avons vu finir la branche
aînée des Bourbons après les
règnes de Louis XVI, de Louis XVIII et de Charles X ; tous
trois frères aussi et tous trois devenus rois.
Voici une autre
singularité qui se trouve consignée dans une de
ces nombreuses productions du seizième siècle,
tout empreintes de superstitions barbares. Nous empruntons le
récit suivant à un livre imprimé
à La Haye, et ayant pour titre : Doigt de Dieu.Nous
l'avons abrègé et largement
émondé ; mais nous avons
tâché d'en garder l'esprit et, en rapprochant la
conclusion du point de départ ,nous avons essayé
d'en faire davantage ressortir la bizarrerie.
Or, un soir, comme la
pluie tombait à flots, on dit qu'une vieille femme, qui
passait dans le pays pour sorcière et qui habitait une
pauvre cabane dans la forêt de Saint-Germain, entendit
frapper a sa porte ; elle ouvrit, et vit un cavalier qui lui demanda
l'hospitalité ; elle mit son cheval dans une grange et le
fit entrer. A la clarté d'une lampe fumeuse, elle vit que
c'était un jeune gentilhomme. La personne disait la
jeunesse, l'habit disait la qualité. La vieille femme alluma
du feu et demanda au gentilhomme s'il désirait manger
quelque chose. Un estomac de seize ans est, comme un coeur du
même âge, très-avide et peu difficile.
Le jeune homme accepta. Une bribe de fromage et un morceau de pain noir
sortit de la huche. C'était toute la provision de la vieille.
— Je n'ai rien de plus,
dit-elle au jeune gentil homme ; voilà tout ce que me
laissent à offrir aux pauvres voyageurs la dîme,
la taille, les aides, la gabelle, le souquet,
l'arrière-souquet ; sans compter que les manans
d'alentour me disent sorcière et vouée au diable,
pour me voler, en sûreté de conscience, les
produits de mon pauvre champ.
— Pardieu , dit
le gentilhomme, si je devenais jamais roi de France, je supprimerais
les impôts et ferais instruire le peuple.
— Dieu vous
entende, répondit la vieille.
A ce mot, le gentilhomme
s'approcha de la table pour manger ; mais au même instant un
nouveau coup frappé à la porte
l'arrêta. La vieille ouvrit et vit encore un cavalier
percé de pluie, et qui demanda l'hospitalité.
L'hospitalité lui fut accordée, et le cavalier
étant entré, il se trouva que c'était
encore un jeune homme, et encore un gentilhomme.
— C'est
vous,
Henri, dit l'un.
— Oui,
Henri,
dit l'autre.
Tous deux s'appelaient
Henri. La vieille apprit dans leur entretien qu'ils étaient
d'une nombreuse partie de chasse, menée par le roi Charles
IX, et que l'orage avait dispersée.
— La vieille,
dit le second venu, n'as-tu pas autre chose à nous donner?
— Rien,
répondit-elle.
— Alors,
dit-il, nous allons partager.
Le premier Henri fit la
grimace ; mais , en regardant l'oeil résolu et la prestance
nerveuse du second Henri, il dit d'une voix chagrine :
— Partageons
donc !
Il y avait,
après ces paroles, cette pensée qu'il n'osa dire
: — Partageons, de peur qu'il ne prenne tout.
Ils s'assirent
donc en
face l'un de l'autre, et déjà l'un des deux
allait couper le pain avec sa dague, lorsqu'un troisième
coup fut frappé à la porte. La rencontre
était singulière : c'était
encore un gentilhomme, encor un jeune homme, encor un Henri. La vieille
se mit a les considérer avec surprise. Le premier voulut
cacher le fromage et le pain ; le second les replaça sur la
table, et posa son épée a
côté. Le troisième Henri sourit.
— Vous ne
voulez donc rien me donner de votre souper , dit-il ; je puis attendre,
j'ai l'estomac bon.
— Le souper,
dit le premier Henri, appartient de droit au premier occupant.
— Le souper,
dit le second, appartient à qui sait mieux le
défendre.
Le troisième
Henri devint rouge de colère, et dit fièrement :
— Peut-être
appartient-il à celui qui sait mieux le conquérir.
Ces paroles furent a
peine dites, que le premier Henri tira son poignard, les deux autres
leurs épées. Comme ils allaient en venir aux
mains, un quatrième coup est frappé, un
quatrième jeune homme, un quatrième gentilhomme ,
un quatrième Henri fut introduit. A l'aspect des
épées nues, il tire la sienne, se met du
côté le plus faible, et attaque à
l'étourdie.
La vieille se cache
épouvantée , et les épées
vont fracassant tout ce qui se trouve à leur
portée. La lampe tombe, s'éteint, et chacun
frappe dans l'ombre. Le bruit des épées dure
quelque temps, puis s'affaiblit graduellement, et finit par cesser
tout-à-fait. Alors, la vieille se hasarde à
sortir de son trou, rallume la lampe, et voit les quatre jeunes gens
étendus par terre, avec chacun une blessure. Elle les
examina : la fatigue les avait plutôt renversés
que la perte de leur sang. Ils se relèvent l'un
après l'autre, et, honteux de ce qu'ils viennent de faire,
ils se mettent à rire et se disent :
— Allons,
soupons de bon accord et sans rancune.
Mais lorsqu'il fallut
trouver le souper, il était par terre, foulé aux
pieds, souillé de sang. Si mince qu'il fût, on le
regretta. D'un autre côté, la cabane
était dévastée, et la vieille, assise
dans un coin , fixait ses yeux fauves sur les quatre jeunes gens.
— Qu'as-tu
à nous regarder ainsi, dit le premier Henri, que ce regard
troublait.
— Je regarde
vos destinées écrites sur vos fronts,
répondit la vieille.
Le second Henri lui
commanda durement de les lui révéler ; les deux
derniers l'y engagèrent en riant.
La
vieille répondit :
— Comme vous
êtes réunis tous quatre dans cette cabane, vous
serez réunis tous quatre dans une même
destinée. Comme vous avez foulé aux pieds et
souillé de sang le pain que l'hospitalité vous a
offert, vous foulerez aux pieds et souillerez de sang la puissance que
vous pouviez partager ; comme vous avez dévaste et appauvri
cette chaumière, vous dévasterez et appauvrirez
la France ; comme vous avez été
blessés tous quatre dans l'ombre, vous périrez
tous quatre par trahison et de mort violente.
Les quatre gentilshommes
ne purent s'empêcher de rire de la prédiction de
la vieille.
Ces quatre gentilshommes étaient les quatre héros
de la ligue, deux comme ses chefs, deux comme ses ennemis.
Henri de Condé, empoisonné à
Saint-Jean-d'Angély par sa femme.
Henri de Guise, assassiné à Blois par
les
quarante-cinq.
Henri de Valois (Henri III),
assassiné par Jacques
Clément à Saint-Cloud.
Henri de Bourbon (Henri IV),
assassiné à Paris
par Ravaillac.
FRÉDÉRIC SOULIÉ.
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