< 2ème partie Trad. |
REVUE D'HISTOIRE DIPLOMATIQUE — 1903 |
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La phase envahissante ne
commença guère qu'une dizaine d'année
après l'échec de la tentative de Bolivar. De 1826
à 1835, le gouvernement des États-Unis laissa
suspendue au
crochet l'arme, devenue inutile, de la doctrine de Monroe. Il devait
recommencer à la brandir, vers cette dernière
date, pour justifier ses velléités d'expansion et
de conquête.
Le Texas, ancienne
colonie espagnole, avait proclamé son
indépendance en 1812 et vivait depuis lors dans un
perpétuel état d'anarchie, tantôt se
joignant à la fédération des
États-Unis du Mexique, tantôt
prétendant vivre en
république autonome ; mais toujours en lutte contre
les Espagnols de la Floride et plus ou moins
déchiré par la guerre civile. Depuis que le
gouvernement de Washington avait acquis de la France la Louisiane,
à prix d'argent, et cherchait à
acquérir de même la Floride, le Texas tentait son
ambition. Souveraine du Texas, de la Louisiane et de la Floride, la
fédération américaine fût en
effet devenue maîtresse de toute la partie septentrionale du
golfe du Mexique. Aussi, devançant l'action gouvernementale,
le général Mac Gregor avait-il, de sa seule
autorité, envahi et, à peu près,
conquis le Texas en 1816 ; mais un pareil
empiètement sur les droits d'un peuple
indépendant de l'Amérique était un
mauvais exemple donné à l'Europe et eût
singulièrement affaibli les théories par
lesquelles on prétendait déjà,
même avant le fameux message de Monroe, s'opposer
à toute intervention de celle-ci dans les affaires du
continent américain. « Du moment
où vous intervenez vous-mêmes dans le
régime intérieur d'un pays américain
pour y faire cesser l'anarchie, de quel droit, lui eût
répondu l'Europe, prétendez-vous nous
empêcher d'en faire autant ? » Le
général Mac Gregor fut donc
désavoué par son gouvernement et, lorsqu'en 1818,
l'Espagne, désespérant de conserver la Floride,
se fut décidée à vendre cette colonie
aux États-Unis, ceux-ci durent s'engager à
laisser le Texas
vider seul sa querelle et avec la métropole et avec le
Mexique. Les Texans désappointés se
donnèrent de nouveau au Mexique. Mais, en 1830, de graves
dissentiments étant survenus entre le pays annexant et le
pays annexé, le Texas voulut rompre de nouveau ses liens
avec le Mexique et se constitua pour la deuxième ou la
troisième fois en république autonome. Les
Mexicains protestèrent et la guerre éclata. Mais
les troupes mexicaines furent plusieurs fois battues par celles du
Texas et le nouvel Etat réussit à maintenir
intacte, pendant cinq ans, sa coûteuse
indépendance. La lutte était toutefois
inégale. Les forces et les ressources du malheureux Texas
s'épuisaient et il devenait
évident que, tôt ou tard, il lui faudrait
céder, si personne ne lui venait en aide. Le
président de l'héroïque petite
république était alors un certain Houston, qui
n'avait jamais pu se consoler de l'abandon où les
États-Unis
laissaient, officiellement du moins, son infortuné pays. Il
persuada les chefs les plus populaires que le seul salut pour le Texas
serait son incorporation à l'Union Américaine. La
nation consultée émit un vote favorable
à cette idée, et Houston vint offrir au
gouvernement de Washington la souveraineté du Texas.
L'offre était
singulièrement tentante ; mais l'opinion publique
n'était pas encore mûre aux États-Unis
pour une
semblable conquête. Car, il n'y avait pas à se le
dissimuler, accepter l'offre de Houston, c'était faire acte
de guerre. Après l'avoir reçu des mains de ceux
qui exerçaient au Texas le gouvernement de fait, il
eût fallu le disputer au Mexique et le défendre
contre cette république, qui s'en prétendait la
maîtresse légitime. C'eût
été rompre avec les traditions de
non-intervention qui avaient été jusqu'alors la
gloire et la force de la politique Américaine ;
c'eût été compromettre
peut-être le pacifique développement de la
grandeur et de la richesse des États-Unis. Le gouvernement
de
Washington décida donc que la poire n'était pas
assez mûre et, quelque envie qu'il en eût, refusa
de la cueillir. Mais pour qu'elle achevât plus facilement de
mûrir, il résolut de reconnaître
l'autonomie de la république du Texas. C'était
faire la moitié du chemin ; puisqu'on la
reconnaissait comme indépendante et souveraine, on lui
reconnaissait, par là même, implicitement le droit
de disposer d'elle-même. On ne contestait pas que le Texas
n'eût le droit de s'offrir ; on se bornait
à considérer comme inopportune l'acceptation de
cette offre.
Une autre cause militait
en faveur de la non-acceptation , et celle-là
était une cause de politique toute intérieure.
Déjà commençait la rivalité
des états anti-esclavagistes du Nord et des états
esclavagistes du Sud, qui devait, quelques années plus tard,
déchaîner une si longue et si terrible
guère civile entre les diverses parties de l'Union.
Accroître, avec l'annexion du Texas, l'importance et le
nombre des états à esclaves,
n'était-ce pas augmenter les difficultés
économiques du pays ? Bref, tout contribuait
à dicter le refus des États-Unis : la
tradition,
l'économie et la prudence.
Un pareil
échec éloigna naturellement du pouvoir le
président Houston, qui fut remplacé par un
partisan de l'autonomie absolue; mais les difficultés de la
lutte qu'il fallait continuer de soutenir contre le Mexique
ramenèrent les esprits à l'idée de
l'adjonction du Texas à une autre puissance quelconque.
Imitant l'exemple des États-Unis, la France, l'Angleterre et
la
Hollande, qui avaient toutes des établissements dans les
Antilles et sur la côte septentrionale du golfe du Mexique,
qui toutes par conséquent entrevoyaient la
possibilité de tirer parti de la situation, reconnurent
successivement l'indépendance du Texas, en 1839 et 1840. Le
mobile de ces reconnaissances intéressées
n'échappa point au gouvernement américain. Il
poussa de nouveau Houston à la présidence et,
dès que celui-ci eût repris le pouvoir, se
hâta de bâcler avec lui un traité
d'annexion, qui fut signé par M. Calhoum pour les
États-Unis, par M.M. Van Zandt et Henderson pour le Texas,
le 12 avril
1844.
Mais cette fois encore,
le gouvernement des États-Unis allait plus vite que
l'opinion publique
de ce pays, et de même qu'en 1816 Mac Gregor avait
été désavoué, en 1844 le
sénat refusa de suivre le président Tyler et ne
ratifia point le traité.
Et cependant, pour
justifier sa politique et lui enlever toute apparence d'aventure et de
conquête inutile, le président avait fait
remarquer dans son rapport que l'annexion du Texas ne serait qu'un acte
défensif absolument conforme à la doctrine de
Monroe, que le Texas ne voulait pas redevenir mexicain, qu'il ne
pouvait pas continuer seul la lutte soutenue depuis près de
quatorze ans, et qu'il était à craindre par
conséquent qu'il ne se jetât dans les bras de
quelque puissance européenne. C'était donc pour
préserver l'Amérique toute entière du
danger de l'intervention européenne et peut-être
même de la honte de la recolonisation d'un de ses territoires
devenu autonome, que les États-Unis devaient s'empresser
d'ouvrir
l'accès de l'Union au peuple du Texas.
Ce raisonnement
était, il faut l'avouer, très juste et
très conforme à la sainte doctrine de 1823. Il
était on ne peut plus prévoyant. Il n'avait
cependant pas réussi à convaincre le
sénat, mais la diplomatie Française allait se
charger d'ouvrir les yeux même aux moins clairvoyants. Le
ministre de France au Mexique proposa à ce pays la
médiation du roi son maître pour terminer le
différent existant entre lui et le Texas. La nouvelle de
cette proposition se répandit rapidement aux
États-Unis et
fit ce que n'avait pu obtenir toute la dialectique du
président Tyler. La chambre des représentants
d'abord, le sénat ensuite, s'empressèrent de
voter une loi qui admettait le Texas parmi les territoires de l'Union.
Le président la sanctionna avec joie le 1er mai 1845 et
ainsi le Texas se trouva définitivement incorporé
aux États-Unis par un simple acte législatif.
L'ère de la
politique envahissante était ouverte. Elle ne devait plus se
fermer de sitôt.
Si ce fut en
prévision d'une demande éventuelle d'intervention
européenne que les États-Unis
s'annexèrent le
Texas, comment n'eussent-ils pas songés à
s'annexer aussi le Yucatan, quand ce dernier pays, après
s'être offert successivement à qui voudrait le
prendre pour l'affranchir du joug du Mexique, en arrivait à
demander ouvertement à l'Angleterre et à
l'Espagne de venir rétablir l'ordre troublé sur
son territoire par la plus effroyable des anarchies ? Mais l'opinion
publique des États-Unis, peu préparée
encore
à la politique d'agrandissement et de conquêtes
dans laquelle se jetait le gouvernement, s'opposa à cette
nouvelle aventure, comme elle l'avait fait si longtemps à
l'incorporation du Texas. Déjà le Mexique
protestait contre l'annexion de ce dernier pays et menaçait
d'envahir le territoire de l'Union. La prise du Yucatan eût
rendu la guerre tout à fait inévitable.
D'ailleurs, disaient les timorés, si on admettait un pareil
précédent, il faudrait le lendemain s'annexer
quelque pays de l'Amérique du Sud. Car le Yucatan,
situé dans l'Amérique Centrale,
n'était déjà plus, comme le Texas,
contigu aux possessions de l'Union. Et puis, pour le Yucatan, on
n'avait même pas l'excuse, qu'on avait eu pour le Texas, de
ne répondre affirmativement à sa proposition que
parce qu'il s'agissait d'un pays indépendant, libre de ses
destinées et par conséquent justifié
à apporter à un autre état sa propre
souveraineté. Jamais le Yucatan n'avait fait aucune
déclaration d'indépendance, il n'était
officiellement qu'une simple province du Mexique. Le prendre
était faire acte de guerre et de conquête directe
sans distinguo d'aucune sorte, sans aucune subtilité
d'interprétation possible. Une fois engagé dans
cette voie, où et quand se serait-on
arrêté ? « Jamais et nulle part
»,
répondrait orgueilleusement aujourd'hui le
président Roosevelt ; mais en 1845 on n'en
était
pas encore là. Polk dut plaider les circonstances
atténuantes : « —Le Yucatan,
disait-il dans son message du 29 avril 1845, a appelé
plusieurs fois à son aide des puissances
européennes. Elles ne sont pas encore venues, mais elles
arrivent. Elles vont demander, en échange de la protection
qu'elles apportent, le pouvoir et la souveraineté de l'Etat
auquel elles auront prêté secours. Nous ne pouvons
le tolérer. »
En attendant, le
Mexique, résolu à ne point se laisser spolier,
décidait de s'opposer par la force à l'annexion
du Texas, remettant à plus tard le soin de repousser par les
armes, s'il y avait lieu, l'occupation du Yucatan, ou la discorde des
blancs et des noirs rendait pour le moment son autorité trop
illusoire pour qu'il pût y agir efficacement. Il
déclara donc la guerre aux États-Unis et envahi
le
territoire de l'Union. Mais cette tentative hardie devait avoir de
cruels lendemains. Une escadre américaine vint bloquer les
côtes mexicaines et s'emparer des ports les plus importants
du littoral, tandis qu'une armée levée
à la hâte repoussait sur terre l'invasion et
pénétrait à son tour jusqu'au coeur du
Mexique.
En 1846, Matamoros,
Santa-Fé, Monterey, Tabaco, Tampico et San-Luis de Potosi
tombèrent au pouvoir des marins Américains. En
1847, c'était la Puebla, San-Juan d'Ulloa et la Vera-Cruz,
qui étaient obligés de capituler. Et pendant que
ses ports étaient ainsi conquis un à un par
l'ennemi, le Mexique voyait ses troupes de terre essuyer
défaites sur défaites. Le 7 mai 1846 elles
étaient battues à Palo-Alto, le 22
février 1847 à Buena-Vista, le 18 avril au
défilé de Cerro-Gordo, les 19 et 28
août à Contreras et sur les rives de Churobosco,
les 12 et 13 septembre à Chetulpu et à Molino del
Rey. Le 15 septembre enfin l'étendard
étoilé de l'Union flottait sur Mexico.
Et pourtant les Mexicains
résistaient encore. Il fallut cependant finir par se
soumettre, et le 2 février 1848 fut signé le
traité de Guadalupe-Hidalgo, qui mettait fin à la
guerre. Il fut terriblement dur pour le Mexique. Ce n'était
plus le Texas seulement dont il fallait accepter l'accession
à la puissante confédération :
c'était encore la Nouvelle-Californie, dont il fallait
reconnaître l'incorporation soi-disant volontaire aux
États-Unis ; c'était enfin le
Nouveau-Mexique qu'il fallait
céder purement et simplement, sans que l'ombre
même d'un prétexte eût
été invoqué pour légitimer
cette dernière conquête. Les États-Unis
rectifiaient leur frontière parce que tel était
leur bon plaisir, comme n'importe quel peuple despotique, militaire et
conquérant du vieux monde. Et si pour le Texas et la
Californie ils donnaient à leur ambition la
prétendue raison d'une satisfaction à accorder au
voeu des populations annexées, pour le Nouveau-Mexique ils
n'invoquaient que le droit du plus fort, le Faust Recht
du moyen-âge, l'ultima ratio regum devenue
également le dernier argument des républiques. La
seule innovation était celle d'une indemnité
dédaigneusement accordée au vaincus. Ce peuple de
marchands croyait peut-être sincèrement que les
pays et les nations s'achètent comme des fermes
après saisie, avec leurs cheptels, à prix
d'argent; et ils achetaient de force le Nouveau-Mexique, comme ils
avaient acheté la Louisiane et la Floride, en exploitant les
embarras de la France et la détresse de l'Espagne.
Le traité de
Guadalupe-Hidalgo était muet sur le Yucatan ;
aussi, avant de demander au congrès la ratification de cet
instrument diplomatique, le président des
États-Unis
essaya-t-il une dernière fois de faire sanctionner par le
sénat la mainmise projetée sur cette partie de
l'Amérique centrale. Si son occupation était
décidée, on ajouterait une clause de plus au
traité de Guadalupe-Hidalgo, et si les Mexicains faisaient
mine de crier, on leur jetterait, pour les faire taire, quelques
nouvelles poignées de dollars.
Le sénat ne
voulut pas suivre la Maison-Blanche sur ce terrain. Cette fois encore
c'étaient les présidents qui tiraient l'opinion
publique, non l'opinion publique qui poussait les
présidents. N'en avait-il pas été
ainsi pour la question du Texas ? N'en fut-il pas ainsi bien
des fois depuis ? N'en est-il pas ainsi encore
aujourd'hui ? Cette constante initiative de
l'exécutif, devançant les pouvoirs
législatifs dans presque toutes les voies, tant au point de
vue de la politique extérieure qu'à celui de la
politique intérieure elle-même, sera
sûrement une des caractéristiques les plus
originales de l'histoire des États-Unis. En 1848, cependant,
elle ne
parvint pas à galvaniser le congrès.
Le traité de
Guadalupe-Hidalgo fut ratifié le 30 mai, sans adjonction
nouvelle, et comme d'ailleurs la querelle des noirs et des blancs
s'était apaisée au Yucatan et qu'il n'y
était plus question d'intervention
étrangère, l'occupation de ce pays fut
définitivement abandonnée par le gouvernement de
l'Union.
A ce premier recul de la
politique envahissante vint s'en ajouter un autre, dans cette
même année 1848, à propos de l'Oregon.
Les Anglais prétendaient reprendre certains territoires
indûment occupés par les Américains sur
les confins de cet Etat. Les Américains reconnaissaient
eux-mêmes que lesdits territoires n'avaient
été pris par eux que par suite d'une fausse
interprétation des traités. L'occupation n'en
avait pas moins existé, et s'était
prolongée pendant si longtemps que les populations
étaient en droit de se considérer comme
jouissant, en fait, de cette libre constitution des pays anciennement
affranchis, que Monroe en son message avait
déclaré si inviolable. Le retour de ces
territoires à la couronne britannique eût donc
été une véritable recolonisation d'une
portion de l'Amérique indépendante et libre;
c'eût été une terrible atteinte aux
principes de Monroe. Cette fois, c'était l'opinion publique
qui poussait le président à la
résistance. Mais la résistance eût
été la guerre. Or la guerre avec la puissante
Angleterre était une tout autre aventure à
risquer que ne l'avait été la guerre avec le
faible et anarchique Mexique. La Maison-Blanche fit donc
fléchir la rigueur des principes devant de simples et
pratiques considérations de prudence. Elle fit semblant,
pour la forme, de discuter un peu; mais elle finit par accepter les
dispositions d'un traité, qui fut signé le 15
janvier 1848 et qui, tout en accordant quelques concessions aux
États-Unis, remettait la plus grande partie des territoires
revendiqués par l'Angleterre sous la souveraineté
de S.M. Britannique.
Ainsi marchaient de
front, selon qu'on avait à faire à plus fort ou
à plus faible que soi, l'arrogance ou la souplesse.
De 1848 à
1860, époque où commencèrent presque
à la fois l'expédition française du
Mexique et la guerre de sécession, le gouvernement de
Washington eut encore plusieurs occasions, qu'il serait trop long
d'énumérer ici, de montrer son double
désir de faire échec à l'influence de
l'Europe dans le nouveau monde et d'y rendre exclusive sa propre
hégémonie. La plus importante de ces occasions,
ou plutôt la plus importante série de ces
occasions, fut fournie par la question du canal
interocéanique1.
L'idée de
faire communiquer l'Atlantique et le Pacifique, en
perçant l'un des isthmes de l'Amérique Centrale,
datait du temps de Bolivar ; mais l'état d'anarchie
qui avait suivi la mort de ce grand Américain, dans les pays
dont il avait été le chef, avait
fait perdre de vue ce projet par les peuples qui y étaient
le plus directement intéressés. D'autre le
reprenaient;
et le roi de Hollande, notamment, essaya de lui donner un corps, mais
sans y réussir. Cependant la question du canal
interocéanique était redevenue une question
d'actualité, et il était évident que,
tôt ou tard, le projet de Bolivar se réaliserait.
Les Anglais, toujours soucieux de conserver la domination des mers et
par conséquent de
s'assurer les points stratégiques commandant toutes les
routes navigables présentes ou futures,
cherchèrent à se procurer dans
l'Amérique Centrale des ports où leurs escadres
pussent faire escale, et
d'où ils pourraient éventuellement bloquer
l'entrée du futur canal, quelle que fût la nation
qui arrivât
à le construire un jour. Ils essayèrent, en
conséquence de s'implanter dans le pays des Mosquitos, pays
situé entre les
deux isthmes qu'il était alternativement question de percer,
celui de Panama et celui de San-Juan de Nicaragua. Ils
essayèrent en même temps de négocier
avec le Nicaragua et avec la Colombie des traités qui leur
donneraient le privilège de construire eux-mêmes
le canal projeté, soit d'un côté soit
de l'autre de la côte des Mosquitos. Les
États-Unis ne
demeuraient pas non plus inactifs. Eux aussi voulaient être
les maîtres
de la nouvelle voie navigable, en tous cas la soustraire au
contrôle de l'Europe. De là des intrigues sans
nombre, des négociations interminables et
compliquées avec les diverses républiques de
l'Amérique Centrale,
enfin les pourparlers avec la Grande-Bretagne elle-même. Ces
derniers aboutirent, en 1850, à la signature de la fameuse
convention Clayton-Bulwer, par laquelle l'Angleterre
renonçait à la côte de
Mosquitos, que le traité de paix signé entre le
Mexique et les États-Unis en 1848 avait
déjà
déclaré
appartenir au Nicaragua. En échange de l'acceptation de
cette clause du traité de Guadalupe-Hidalgo par la
Grande-Bretagne, les États-Unis imposaient au
Nicaragua l'engagement de neutraliser à
perpétuité les ports
auxquels aboutirait le futur canal et une zone de terrain
déterminée sur le parcours dudit canal.
Pour raconter toutes les
péripéties auxquelles
donna lieu, avant et après 1850, cette importante question
autour de laquelle s'agitent encore les diplomaties du vieux
et du nouveau monde, il faudrait tout un volume2.
Bornons-nous à les rappeler ici pour
mémoire, comme autant d'incidents de la phase envahissante.
Elles en furent les dernières manifestations
avant le temps d'arrêt imposé aux
États-Unis par
la longue guerre civile qui paralysa leurs forces de 1860 à
1865.
1 Voir
à ce sujet une
étude toute
récente publiée par M. Charles-Henry Huberich,
professeur à l'université du Texas, sous ce titre
: « le canal transisthmique, étude
d'histoire diplomatique américaine.
» Extrait de la Revue du droit public et de la
science politique en
France et à l'étranger. Paris, 1903.
2 Le
traité Clayton-Bulwer est aujourd'hui
remplacé par un traité Hay-Paunceforte, dont
l'approbation par le Sénat Américain a
donné lieu tout récemment encore à
plusieurs
péripéties intéressantes.