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MUSÉE DES FAMILLES (1845-46) |
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depuis l'invention jusqu'à l'an 1500.
Le but de la série d'articles que nous commençons dans le Musée des familles est de suivre dans ses développements et dans ses transformations successives l'art admirable dont Gutenberg, Jean Fust et Pierre Schœfler s'attribuent la paternité ; nous apprécierons sa valeur morale et nous donnerons une idée de ses procédés matériels.
Cette étude, dont nous tempérerons autant que possible la sécheresse en fuyant la technicité, fera briller dans tout son jour la gloire des inventeurs ; car, si les siècles ont apporté quelques perfectionnements de détails dans l'art typographique, le principe est resté intact ; au point qu'après quelques jours, quelques heures peut-être d'observations et d'épreuve, un ouvrier compositeur du temps d'Alde Manuce ou de Jean Amerbach serait en état de travailler utilement dans l'imprimerie de Firmin Didot ou de Lacrampe... Cette histoire se rattache intimement à l'histoire intellectuelle et littéraire des temps modernes, dont elle peut servir à fixer l'ère véritable ; ce n'est pas que la découverte de l'imprimerie ait beaucoup servi, comme on l'a trop répété, la cause de l'affranchissement de la pensée ; son rôle n'était pas là. En effet, instrument docile, mais inerte, elle a transmis indifféremment aux masses les doctrines des oppresseurs comme les plaintes des opprimés ; semblable au chemin de fer qui, s'il peut rapidement porter sur la frontière une armée nationale, peut également conduire au cœur même du royaume les étrangers et l'invasion.
D'ailleurs, il faut le dire, la pensée n'a jamais été réellement asservie que dans une certaine limite ; les censures de tous les temps n'ont égratigné que son côté le plus extérieur et le plus terre à terre ; les grands philosophes et les sublimes poètes surent toujours soustraire leurs ailes aux ciseaux et aux tenailles. Dante, Abailard, Rabelais, Montaigne, Bacon, Descartes, Pascal, Molière, Locke, Leibnitz, Newton, Rousseau, de Maistre, Chateaubriand se sont-ils trouvés supprimés ou seulement amoindris ?
L'imprimerie n'a point eu ce caractère de propagande exclusivement protestante et révolutionnaire qu'on cherche à lui attribuer ; nous en trouvons l'irrécusable preuve dans ce fait que nulle des grandes puissances temporelles et spirituelles, pape, empereur ou roi, ne s'en alarmèrent ni ne la combattirent.
Dès 1467,Udalric de Mayence, Hans, Conrad Suvenheim et Arnold Pannarts s'établirent à Rome sous la protection du pape Paul II, qui les logea dans le palais des Maximis. Ils y imprimèrent en 1467 la Cité de Dieu, de saint Augustin, une Bible latine et les Offices de Cicéron. Il existe un arrêt du Parlement de Paris, en date de 1462, qui proclame l'excellence de la nouvelle découverte, et un privilège de l'empereur Maximilien, qui la qualifie de chose merveilleuse et presque divine.
D'ailleurs, l'inattendu, la singularité et l'admirable simplicité de l'art typographique frappèrent seuls les esprits ; on ne soupçonna même pas qu'il y eût autre chose là qu'une heureuse modification dans le mode de propagation des œuvres écrites ; longtemps après Gutenberg, les esprits sérieux et les savants à barbe grise préféraient les manuscrits aux plus belles impressions ; lorsque Fust vint à Paris pour la première fois, il apporta six ou sept exemplaires magnifiques de sa Bible latine, dite de 1462 ; ils étaient tirés sur peau de vélin premier choix, avec illustrations et lettres ornées peintes au pinceau en couleur et en or; pour compléter l'illusion, les caractères qui avaient servi pour composer ce chef-d'œuvre imitaient scrupuleusement la forme de l'écriture usuelle ; et Fust ne parvint à vendre les Bibles de sa collection qu'en les faisant passer pour manuscrites. Cependant les acheteurs se convainquirent bientôt qu'il n'en était rien ; ils devinrent furieux et poursuivirent ce grand homme d'abord comme voleur et faussaire, puis, ce qui devenait plus grave, comme magicien. Fust pouvait aisément se justifier, mais en dévoilant un secret qu'il voulait garder précieusement. Il ne lui restait donc d'autre parti que la fuite ; aussi retourna-t-il diligemment à Mayence, où il attendit en sûreté le résultat des poursuites dirigées contre lui. Le Parlement fut saisi de l'affaire ; ses délibérations durèrent plusieurs mois ; sur ces entrefaites, divers ouvriers imprimeurs, Martin Crantz, Ulric Gering, natif de Constance, et Michel Friburger apportèrent leur industrie à Paris et fonctionnèrent publiquement dans les salles basses de la Sorbonne ; c'est alors qu'intervint l'arrêt auquel nous faisions allusion plus haut, qui lava complètement Jean Fust des imputations de ses ennemis, et rendit hommage à l'excellence de son art.
D'un autre côté, Polydore Virgile, l'un des hommes distingués du quinzième siècle, ne craignait pas, en 1499, de s'exprimer en ces termes 1 :
« Cecy ( les bibliothèques ) fut jadis un grand bénéfice du ciel, octroyé aux mortels : mais qui ne doit estre esgallé en rien à celuy de nostre temps, auquel on a trouvé une manière nouvelle d'escrire, par laquelle un seul homme imprimera plus en un jour que plusieurs ne sçauroient escrire tout le long d'une année... De parler plus d'icelle j'en fais surseance, me suffisant d'avoir monstré et l'inventeur et le lieu d'où avant elle nous a esté aportée, laquelle a esté de grand proufit au commencement comme chose admirée pour sa nouveauté, mais laquelle comme j'estime sera avilie pour estre trop commune et divulguée. »
On conçoit que, sous l'influence de pareilles idées, l'imprimerie ne put devenir de longtemps une spéculation lucrative ; à peine les frais d'exploitation se trouvaient-ils couverts ; les premiers imprimeurs qui, de 1462 à 1470, se répandirent dans les principales villes d'Europe, étaient de simples ouvriers qui cherchaient seulement à utiliser leur travail manuel pour gagner au jour le jour un modique salaire. Après eux, grandit une seconde génération plus intelligente, plus lettrée ; les imprimeurs furent de savants hommes qui, passionnés pour ce qu'on appelait alors les belles lettres, ne voyaient dans l'exercice de leur profession qu'un moyen d'arracher à un oubli éternel les chefs-d'œuvre de l'antiquité qui les avaient séduits. Leur gloire, gloire réelle et pure, consistait à livrer aux érudits, aux doctes de leur siècle, des éditions irréprochables dans lesquelles les textes favoris étaient soigneusement restitués, rectifiés, expurgés, commentés, expliqués ; la qualité d'imprimeur impliquait alors celle d'helléniste ou de latiniste consommé ; la pléiade antique n'a pas eu de scoliastes plus amoureux et plus entendus que les Elzevirs, les Alde, les Estienne, les Junte et les Amerbach.
Un imprimeur parisien, Jean Camusat, se modelant sur le célèbre Jean Froben, poussa plus loin la conscience et le fanatisme littéraires : il s'était fait un devoir de ne s'occuper que de livres d'une valeur intrinsèque incontestable, et parmi les meilleurs il faisait encore un choix ; ainsi Tacite pouvait avoir ses sympathies, mais pour rien au monde il n'eût réimprimé Ennius ; Térence faisait ses délices, mais Plaute lui paraissait grossier et trop indigne d'une nation polie. Aussi cet homme estimable eût-il pu dire comme Mozart à propos de Don Giovanni : « J'imprime pour moi et deux ou trois de mes amis. »
Par une conséquence nécessaire de cet état de choses, tout imprimeur était libraire, du moins en thèse générale ; les édits et règlements de Louis XIV sur leur corporation semblent encore considérer comme une exception rare la séparation de ces deux professions.
En résumé, c'est par une illusion d'optique que l'on attribue généralement à la découverte de l'imprimerie ce qui n'appartient réellement qu'à la dernière période du dix-neuvième siècle ; la presse, quatrième pouvoir de l'État, est née avec le gouvernement constitutionnel, dont elle est une des manifestations extérieures ; c'est une forme extraordinaire et spéciale du régime sous lequel nous vivons ; il ne nous appartient pas de rien prophétiser quant à sa durée ; mais ce que nous pouvons affirmer et soutenir, c'est que rien de semblable n'exista dans le passé.
Ce qu'il y a de certain, c'est que les inventeurs eux-mêmes et leurs contemporains virent dans l'art typographique une découverte peut-être plus curieuse qu'utile, et ne lui attribuèrent pas une importance sociale beaucoup plus grande que nous n'en attachons à l'électro-chimie et à la dorure par le procédé Ruolz.
Rien n'est d'ailleurs plus confus, moins explicable et moins authentique que l'histoire des premiers essais du quinzième siècle ; on verra bientôt, si nous sommes assez heureux pour rendre visibles et tangibles à nos lecteurs les objets que nous allons décrire, que le principe et ses déductions les plus immédiates et les plus saillantes n'étaient rien par eux-mêmes, si les accessoires n'étaient pas simultanément créés tout d'une pièce ; pour concevoir la première tentative à peu près réussie, il faut supposer l'existence de ces accessoires, non pas en germe ou seulement informes, mais complets et parfaits. Nous le répétons, à part certaines consolidations, certaines améliorations dans des détails minimes, la typographie n'a pas marché depuis Fust et Schœffer. La Bible dite des quarante-deux lignes et les Offices de Cicéron imprimés par Jean Amerbach ont exigé autant d'invention et de génie dans les matériaux d'exécution que les plus splendides éditions illustrées de nos jours ; bien mieux, les typographes d'aujourd'hui n'ont rien trouvé qui ne dût être connu dès le jour où la première page imprimée fut produite. Nous n'exagérons rien ; car le caractère mobile étant donné, plus ou moins régulier, plus ou moins juste, mieux ou plus mal combiné, à quoi servait-il sans la facilité de le rassembler en pages uniformes, surtout de l'y maintenir, difficulté qu'on ne soupçonne plus maintenant que le long usage a dissipé la faculté d'étonnement, mais qui était tout un monde à franchir ? et, tous ces obstacles aplanis, quel profond praticien, quel chimiste inspiré trouva la clef de voûte sans laquelle l'édifice s'écroulait, ou, bien plutôt, n'existait pas, qui donc trouva l'encre d'imprimerie ?
Plus nous envisageons la question à ce point de vue, qui est le véritable, et plus nous constatons sûrement que la force de génie surhumaine qui coordonna cette masse de découvertes prodigieuses ne se peut être manifestée en un seul jour. Il est impossible de méconnaître ici la lente élaboration des siècles ; le doigt du temps se manifeste évidemment. Cela se passe ainsi de toute éternité ; une idée germe sourdement, travaille, étend ses fortes racines sous le sol dont elles aspirent le suc ; elle grandit parmi les herbes sauvages dont nul ne la distingue encore, elle pousse mille rameaux ; puis un jour la fleur éclôt splendide et odorante, et l'on se persuade qu'elle a poussé comme cela pendant la dernière nuit. La vapeur a été découverte vingt fois avant la découverte définitive de James Watt, et pourtant c'est à lui qu'en revient le légitime honneur, puisque lui seul a été assez fort pour faire reconnaître sa puissance. Ainsi Gutenberg et les autres profitèrent de travaux antérieurs qu'ils complétèrent et qu'ils menèrent à maturité. Et ce que nous disons là n'atténue en rien leur mérite ; l'invention consiste moins dans une idée laissée stérile et sans souffle vital que dans le développement et la fécondation du germe abandonné. Dans un autre ordre de faits, les grands poètes ont ainsi procédé : Homère a sucé vingt Iliades antérieures dont il a fait la sienne ; Dante Alighieri absorbe dans son poëme vingt Divines Comédies, œufs desséchés gisant sur un sable aride, mais où son ardent génie a fait éclore la poésie, la grande aigle aux ailes éployées.
Puis il arrive un instant fatal et climatérique où toute idée fertile est dans l'air ; chacun la respire par tous les pores ; mais les uns la dédaignent ou la méconnaissent, ou la subissent instinctivement, sans rien chercher au delà ; un ou deux hommes seulement la comprennent, s'en emparent ; elle est à eux de par le droit du plus fort, de par le droit du génie...
Mais avant de pénétrer plus profondément dans le cœur du sujet, il nous faut, de toute nécessité, faire bien comprendre sur quelle base repose l'art typographique, et circonscrire d'une manière très-exacte la limite de l'invention chez Laurent Coster de Haarlem, Gutenberg, Fust et Schœffer.
Depuis longtemps sans doute on était possédé de cette idée qu'une figure, qu'un dessin quelconque, sculpté en relief sur un morceau de bois ou sur une plaque de métal couverte d'un enduit humide et coloré, se décalquerait parfaitement sur un plan uni comme l'est, une feuille de parchemin ou de papier, qu'ainsi le même dessin, la même figure fourniraient un nombre illimité d'exemplaires identiques. Voilà quel est le principe élémentaire de toute impression. L'application offrait une difficulté unique, mais qui dut paraître longtemps insurmontable ; on avait reconnu tout d'abord que l'encre ordinaire ne pouvait être d'aucun usage : à la fois trop pâle et trop fluide, elle ne gardait pas avec précision les contours de la ligne sculptée, et ne pouvait donner qu'une épreuve effacée et confuse, tout au plus propre à représenter les capricieux dessins que font les nuages quand le vent souffle. Il fallait donc trouver une composition noire et résistante, épaisse sans empâtement, liquide sans fluidité, qui pût s'étendre avec régularité sur la surface entière de la gravure à reproduire, sans couler dans les vides calculés pour rester blancs, et qui, sous une forte pression, ne s'étalat point en taches indécises.
L'encre d'imprimerie, connue dès Gutenberg, remplit toutes ces conditions ;c'est un mélange d'huile et de noir ; on convertit cette huile en vernis par la cuisson et on la broie très-exactement avec du noir qui se tire de la poix résine brûlée dans une bâtisse spéciale nommée sac à noir ; les huiles de noix et de lin sont les seules propres à faire de bonne encre ; les autres font maculer l'impression et jaunissent rapidement.
A qui revient l'honneur de cette invention remarquable ? Nul ne le sait ; mais dès lors la gravure sur bois fut créée.
Le plus ancien spécimen de cet art est l'Enfant Jésus sur les épaules du géant saint Christophe ; cette estampe porte la date de 1423 ; on n'en connaît plus guère que deux épreuves, l'une chez lord Spencer à Londres, la seconde à la Bibliothèque royale de Paris.
Rien de plus rude, de plus grossier, de plus rustiquement naïf que ces premiers essais ; mais ils se perfectionnèrent rapidement ; les contours devinrent moins heurtés, la perspective s'améliora ; on expliqua le sujet par des inscriptions taillées en relief dans la marge ou au bas de l'estampe ; l'explication devint longue et verbeuse, la poésie s'y introduisit ; l'espace devint grand pour le texte, restreint pour le dessin, et l'on arriva insensiblement à des notions qui guidèrent le hardi génie de Gutenberg vers la découverte qui l'a illustré.
Les Chinois ont mis ces procédés en usage dès les temps les plus reculés, en les appliquant non pas seulement aux gravures et aux dessins, mais encore à l'écriture, c'est-à-dire à l'impression des livres.
C'est ici que prennent place les travaux prétendus de Laurent Coster de Haarlem, en qui les Hollandais persistent à voir le père de l'art typographique.
Voici sommairement, mais exactement, toutes les notions reçues concernant ce personnage :
Jean-Laurent Coster naquit à Haarlem vers 1370. Il était garde ou concierge du palais royal de cette ville. Entre autres contes ridicules, ses panégyristes ont affirmé qu'il descendait de la maison princière de Brédérode, chose, ce nous semble, fort indifférente dans l'espèce. On raconte que Laurent Coster, se promenant dans les forêts qui environnent Haarlem, imagina de tailler en bois de hêtre des lettres isolées, dont il imprima des sentences et des maximes tirées de l'Écriture-Sainte, pour l'instruction de ses petits-enfants ; il perfectionna peu à peu ses procédés, monta un atelier, et imprima divers livres, entre autres le Spéculum humanæ salvationis ; ensuite il inventa les matrices et la fonderie. Mais la veille de Noël 1441, pendant que Coster et toute sa famille étaient à la messe de minuit, un de ses ouvriers, nommé Jean Fust, s'enfuit en emportant la collection des poinçons et des matrices, et alla s'établir à Mayence où il s'associa Gutenberg et Schœffer. Le premier ouvrage qui sortit de cette nouvelle officine fut le Doctrinæ Alexandri Galli ( Mayence, 1442 ). Coster mourut peu de temps après ; ses fils, André, Pierre et Thomas Coster, continuèrent et accrurent la nouvelle industrie, qui prospéra malgré le nouveau vol dont ils furent victimes : un autre ouvrier, nommé Frédéric Cor-selles, suivit l'exemple de Jean Fust, et passa en Angleterre, où il fit connaître l'imprimerie, vers l'année 1559.
Nous avons réuni dans les quelques lignes ci-dessus toutes les fables accréditées avec une rare audace par les écrivains hollandais des siècles derniers. Chaque mot, chaque fait, chaque date porte en soi la preuve matérielle de sa fausseté.
Jean Fust ne fut jamais ouvrier ; c'était un riche orfèvre de Mayence ; des actes authentiques établissent que dès 1437 il habitait cette ville, dans laquelle d'ailleurs il était né. Il déroba bien peu les poinçons et les matrices de l'imprimerie de Haarlem, car cette intéressante partie de l'art typographique lui resta bien longtemps étrangère ; le mérite ne lui en revient même pas, comme nous le verrons tout à l'heure, et l'invention des matrices, au surplus, ne date sérieusement que de 1452.
Il n'existe pas un seul ouvrage portant le nom de Laurent Coster ou de ses enfants. A la vérité, la même objection se présente pour Gutenberg, qui n'a pas attaché son nom à un seul monument ( nous expliquerons ce phénomène en temps et lieu ) ; mais du moins il existe, en faveur du gentilhomme strasbourgeois, une tradition contemporaine et vivante, tellement précise, tellement vraisemblable, tellement incontestée, qu'on ne peut, sans injustice, se refuser à la tenir pour vraie.
L'histoire de Laurent Coster est, au contraire, une fiction toute moderne, inventée par des écrivains néerlandais, pour le besoin de leur gloire patriotique ; ils ont métamorphosé les tentatives incertaines de Laurent Coster en créations complètes et supérieures ; ils ont appuyé leurs affirmations sur des documents entachés de faux et d'interpolation, ou même, ce qui est plus fort, parfaitement imaginaires et fantasmagoriques ; ils ont exalté l'opinion publique au point de l'amener à dresser une statue à Coster, décoré du titre piquant de Cadmus néerlandais. Et maintenant, lorsqu'on veut discuter, les Hollandais répondent imperturbablement : « La preuve que Laurent Coster a inventé l'imprimerie, c'est que nous lui avons élevé des statues. »
Quant à l'atelier de Laurent Coster et de ses enfants, avouons qu'il a bien du malheur, car ni Erasme ni aucun des contemporains ne l'a connu ni n'en a fait mention ; Erasme, jaloux comme il était de l'illustration de sa patrie, eût difficilement ignoré des faits si glorieux pour elle, et les eût même probablement acceptés sans un bien scrupuleux examen ; il faut convenir que ce silence conclut médiocrement pour les Coster. Les Hollandais diront à cela que c'est un malheur de plus dont est victime cette intéressante famille, si outrageusement volée et revolée par d'indignes ouvriers.
Expliquons-nous maintenant sur le second vol dont se plaignent les infortunés Coster. Outre que ce Frédéric Cor-selles avait tort grandement de leur dérober un secret déjà divulgué par toute l'Europe, il faut qu'Adrien Junius et le savant Bornhonius, les deux Homères de ces autres Pélo-pides, aient mis en avant quelque chose comme une très-fausse date. A les en croire, Frédéric Corselles porta l'imprimerie en Angleterre vers 1459 : comment donc alors le premier livre imprimé dans ce pays est-il marqué du millésime mcccclxxxxi ? De deux choses l'une : ou les frères Coster ne furent volés qu'en 1490 ou 91, époque où l'art typographique était connu dans quatre ou cinq cents villes différentes, et alors le dommage fut minime ; ou bien la date de 1459 est la bonne, et les secrets costériens n'étaient pas assez merveilleux pour enfanter un résultat quelconque.
Nous ne dirons qu'un mot des livres qu'on leur attribue : ils sont indubitablement sortis des presses de Nicolas Ke telaer et de Gérard de Leempt, qui florissaient à Utrecht de 1473 à 1492.
Reste le Spéculum humanœ salvationis, la pierre angulaire du système hollandais. Ce livre fameux, que nous n'avons pu nous procurer, en dépit des recherches les plus actives, se composait, au dire des divers auteurs, de deux cents pages imprimées sur le recto seulement et collées verso sur verso, de manière à ne pas laisser de pages blanches, ce qui caractérise essentiellement le mode de tirage sur planches gravées ; Junius lui-même convient que le Spéculum fut effectivement taillé sur bois à la manière des anciennes estampes, ce qui nous rejette vers la Chine, bien loin de Gutenberg et de Schœffer.
Un jour, le doyen Malenkrot prétendit avoir retrouvé les maximes de l'Écriture-Sainte, premiers essais de Laurent Coster ; c'étaient de petites bandes de parchemin collées soigneusement une à une sur du papier blanc. Mais le vénérable professeur reconnut depuis que sa religion de savant avait été surprise, et que cette collection curieuse résultait d'une fraude aussi pieuse que hollandaise, assez adroitement pratiquée par des imprimeurs contemporains.
En résumé, il est possible que Jean-Laurent Coster de Haarlem ait réellement imprimé le Speculum, mais ce au moyen de planches gravées en relief ; par conséquent, cette tentative reste tout à fait en dehors du procédé typographique tel que l'a compris Gutenberg, et tel que nous allons le définir.
On devine les inconvénients sans nombre de la méthode de Coster : autant de planches gravées que de pages dans un volume, c'est-à-dire travail immense, perte de temps incalculable, matériel sans cesse croissant et d'une conservation embarrassante et difficile ; nulle régularité, par conséquent nulle élégance dans les types employés ; matière première peu abondante et d'un prix élevé ; corrections inexécutables, outrées, dispendieuses ; nécessité d'imprimer page à page, soit des frais sans bornes de tirage ( quatre fois, huit fois, seize fois, vingt-quatre fois plus considérables, selon le format, que par le mode actuel ) ; en somme, dépense de temps et prix de revient aussi élevés, sinon plus considérables, que ceux des manuscrits.
Ce qu'on appelle communément la découverte de l'imprimerie consiste dans l'invention du caractère mobile ; il n'y a plus de pages d'un seul morceau ; chacune des lettres est détachée, isolée, mobile ; on obtient les mots en mettant l'une contre l'autre les lettres nécessaires ; chaque ligne, en juxtaposant les mots ainsi composés ; chaque page, en superposant les lignes ; cette opération s'appelle composition.
Désormais, plus d'entraves ; lorsqu'une page est imprimée, les lettres qui ont entré dans sa formation servent à composer d'autres pages, et ainsi de suite à l'infini. Plus de gravure spéciale pour chaque ouvrage ; les caractères employés dans une œuvre profane vont tout à l'heure se combiner pour le texte des Saintes-Écritures ; latin, français, espagnol, italien, anglais, tout se compose et s'imprime avec la même collection de signes ; un assortiment de deux cent mille lettres environ suffit à la reproduction de toutes les bibliothèques du monde.
Cette magnifique simplification, qui est à elle seule l'art typographique tout entier, semble devoir être attribuée à Gutenberg, peut-être même à Fust ; mais tout admirablement ingénieuse que fût cette méthode, elle soulevait les objections que chacun de nos lecteurs vient de faire sans doute. Deux, trois, quatre ou cinq cent milles lettres à sculpter en relief, n'est-ce donc rien que cela ? Et cette irrégularité de dessin dont nous accusions les pages gravées ne subsiste-t-elle pas dans le système nouveau ? En effet ; c'étaient là de graves imperfections ; ajoutez à cela que d'aussi petits objets qu'une lettre, un a ou un e par exemple, sculptés à l'extrémité d'une petite tige de bois de hêtre, manquaient de symétrie, de parallélisme et d'aplomb ; d'où il suit qu'à l'impression les mots étaient mal alignés, les mots dansaient, comme on dit en termes du métier ; les lettres n'approchaient pas assez l'une de l'autre et laissaient à travers les mots du blanc désagréable à l'œil ; les caractères étaient forcément d'une grosseur au-dessus de la moyenne et ne se prêtaient pas à l'emploi d'un autre format que l'in-folio démesuré. En somme, ces essais étaient encore empreints d'une grande barbarie.
L'œuvre était incomplète, ce que deux hommes de génie avaient entrepris, un autre homme de génie pouvait seul l'achever ; il parut, cet homme providentiel : ce fut Pierre Schœffer de Gernsheim.
Ainsi donc à cette trinité, Gutenberg, Fust et Schœffer, revient tout l'honneur de la découverte de l'imprimerie, que nous appellerons désormais et invariablement typographie ; le mot imprimerie est à la fois trop général, trop vague et trop restreint ; car il s'applique également à toute nature d'impression, même à des arts tout à fait étrangers, comme l'apprêt des étoffes d'habillement et d'ameublement, et ne désigne pas nettement, comme le mot typographie, la reproduction de l'écriture par des types invariables et cependant mobiles ( τυπωj γραφειν ) ; puis il exclurait de notre travail les arts accessoires, mais indispensables à la typographie, le frappage des matrices, la fonderie, la stéréotypie et la clicherie, dont nous aurons nécessairement a nous occuper.
L'Allemagne fut le berceau des trois inventeurs ; Jean Gutenberg vit le jour à Strasbourg, Fust et Sehœffer à Mayence ; nous allons esquisser rapidement leur existence, et faire connaître dans quelles circonstances le hasard les réunit.
Jean Sulgeloch, seigneur de Gansfleich et de Gutenberg, naquit en 139., à Strasbourg, alors ville libre impériale, d'une famille patricienne, mais peu riche ; il étudia ce qu'on appelait alors les sciences occultes, c'est-à-dire la physique, mais surtout la chimie ; ses études le conduisirent, à des résultats sans doute intéressants, car en 1431, il forma avec quelques bourgeois de Strasbourg une association ayant pour but d'exploiter « certains secrets tenant du merveilleux », dans lesquels la typographie était comprise, ce qu'affirment légèrement peut-être les biographes modernes. Le fait est que nous n'avons aucune donnée exacte sur ce point ; nous supposons pourtant qu'il était question de tout autre chose, car l'association donna des bénéfices, ainsi qu'il résulte du procès intenté à Gutenberg en 1432 par André Dryzehn, fils de Pierre Dryzehn, l'un des associés, qui venait de mourir ; cet André réclamait la part de son père dans les bénéfices de la société, et les tribunaux lui donnèrent gain de cause. C'est alors que Gutenberg alla s'établir à Mayence ; il y acheta une maison et se fit accorder le droit de bourgeoisie ; son titre de bourgeois de Mayence< i> a seul causé l'erreur longtemps accréditée qui lui donnait Mayence pour patrie ; il est bien constaté aujourd'hui que Strasbourg le vit naître ; aussi cette ville lui a-t-elle érigé une statue due au ciseau du célèbre David, et inaugurée en 1841.
Nous rétablissons ici la véritable orthographe du nom de Gutenberg, trop souvent défiguré par les divers auteurs qui l'ont appelé Guttemberg, Gutemberg, Guttenberg, ou même Cuthemberg, comme Polydore Virgile ; Gutenberg est le seul nom conforme à l'étymologie et à l'orthographe allemande ( gute, bonne, berg, montagne, du nom d'une de ses seigneuries ).
Jean Fust était un riche orfèvre de Mayence ; or, dans ce temps-là, quiconque disait orfèvre, disait artiste, sculpteur et ciseleur ; la première pensée de l'art nouveau vint-elle de lui et la communiqua-t-il à Gutenberg dont l'esprit ingénieux et fertile pouvait lui venir efficacement en aide ; ou bien, comme on l'assure, Gutenberg, privé des ressources nécessaires, ne vit-il dans Fust qu'un intelligent bailleur de fonds, c'est ce qu'il n'est pas facile d'éclaircir. Il n'en est pas moins vrai qu'ils s'associèrent, et tirèrent parti de l'invention des caractères mobiles en imprimant la fameuse Bible latine dite des quarante-deux lignes, qui, fatalité décevante pour la curiosité des bibliophiles, ne porte ni date ni nom d'imprimeur.
On affirme, sur la foi du Trithemianarum historiarum Breviarium ( Mayence, 1515, année de la bataille de Pavie ), que la brouille entre Gutenberg et Fust survint à propos de cette Bible ; Fust réclamait ses avances, que le débit du livre n'avait pu couvrir, et Gutenberg se trouvait hors d'état de les lui rembourser ; bref ils se séparèrent en 1452 ; Gutenberg rentra dans la retraite, et l'établissement tout entier resta aux mains de Fust.
L'atelier de ce dernier renfermait alors un ouvrier jeune, intelligent, bien fait, passionné pour son art autant que pour la belle Christine, la fille de l'orfèvre ; c'était Pierre Schœffer de Gernsheim. Il osa rêver une alliance bien disproportionnée ; mais, en homme de cœur, il voulut la réaliser non par des moyens vulgaires ou honteux, mais par sa seule vertu et par l'éclat de son talent. Électrisé par les beaux travaux de son maître et de Gutenberg, dont il enviait le génie, il tenta de placer tout d'un coup l'art typographique a des hauteurs inespérées ; il eut confiance, il chercha, et de ses méditations naquit la fonderie en caractères.
Par bonheur, Jean Fust était un homme réellement supérieur ; ilcomprit la beauté et la hardiesse de cette découverte ; loin d'en profiter pour lui seul et de jalouser son auteur, il l'associa à sa maison, et peu de temps après, combla ses vœux en l'unissant à la belle Christine.
La mémoire de ce fait véridique, quoique un peu romanesque, est conservée dans une note finale du Trithemia-narum, etc., ainsi conçue :
« Ce présent ouvrage de chronique a été achevé d'imprimer en 1515, en la noble et fameuse ville de Mayence ( où l'art de l'Imprimerie a été premièrement inventé ) par Jean Schœffer, petit-fils d'honneste homme Jean Fust, citoyen de Mayence, premier auteur de cet art, qui le trouva par son invention, et qu'il commença d'exercer en 1450, induction treizième, étant empereur Frédéric III, et archevesque de Mayence Thierry Pincerna de Ehrbach, prince et électeur. En 1452, il perfectionna cet art avec l'aide de Dieu et de Pierre Schoeffer de Gernsheim, qui trouva plusieurs choses nécessaires pour l'augmentation de cet art, auquel, pour récompense de tous ses travaux et inventions, il donna sa fille Christine Fust en mariage. »
Voilà sans doute un témoignage irrécusable, cette note ayant été vraisemblablement rédigée par l'imprimeur lui-même, fils de Christine et de Schœffer.
L'invention de Schœffer est réellement les colonnes d'Hercule de la typographie ; elle frappe surtout par sa simplicité sublime ; le dessin en creux d'une lettre quelconque étant fixe dans un moule ad hoc, on obtient très rapidement, en y coulant du métal en fusion, autant de lettres du même type qu'on le désire, dix mille, cent mille, un million, toutes exactement semblables de modèle et de forme, puisqu'elles viennent d'un seul type une fois gravé, et d'une justesse d'alignement parfaite.
Gutenberg tressaillit de joie en voyant ainsi porté au plus haut degré de perfection l'art qu'il avait créé. Il voulut à toute force sortir de son repos ; grâce aux bons offices de Courant Hanequis, échevin de Mayence, il ouvrit en 1455 un atelier qu'il dirigea seul ; il se réconcilia néanmoins avec Fust, s'approvisionna de caractères fondus par Pierre Schœffer, reconnaissant ainsi noblement le génie de l'élève. Gutenberg fut imprimeur aussi habile qu'il avait été grand inventeur. Le Psautier, qui sortit de ses presses en 1461, sera considéré dans tous les temps comme le chef-d'œuvre de la typographie. Vers cette époque, l'électeur Ernest de Gotha le nomma gentilhomme ordinaire de sa chambre et lui assura une pension suffisante avec une retraite à Gotha ; Gutenberg, vieux et brisé par les secousses de sa vie agitée, accepta avec empressement ; il se retira près du duc et s'y éteignit doucement en juin 1463. Son imprimerie devint la propriété de Conrard Hanequis.
Le secret de l'art nouveau avait été jusqu'alors fidèlement gardé, et personne n'en avait pu pénétrer le mystère. Mais en 1462, l'électeur de Saxe, soutenu par Paul II, fondit sur la ville libre de Mayence et la dépouilla de tous ses privilèges. Cette révolution dans le gouvernement causa une émigration générale ; les ateliers se fermèrent, et les ouvriers dispersés portèrent leur industrie en différents pays. Paris et Rome profilèrent d'abord de cette divulgation.
Dans ces circonstances, Fust voulut lui-même voir la France, et nous avons dit quelle fortune il y rencontra ; sa Bible de 1462 lui joua de mauvais tours, et il revint promptement à Mayence.
Comme tous les premiers livres imprimés, cette Bible était nue et sans aucun ornement imprimé, c'est à-dire sans premières pages, sans titres, sans chapitres ni grandes lettres. On les laissait en blanc pour les faire faire à la main ou en miniature, afin que les livres passassent toujours pour des manuscrits. Ils n'étaient ni chiffrés ni signatures au bas des pages par les lettres de l'alphabet, comme on le fit quelques années après ; cela donnait bien de la peine au relieur qui, s'il n'était exact ni intelligent, risquait fort de transposer les feuilles.
Complètement rassuré par les bonnes dispositions du roi Louis XI et du Parlement, Fust revint à Paris en 1464, y gagna quelque argent, et se disposait en 1466 à en aller jouir dans sa patrie, quand il mourut de la grande peste qui ravageait alors notre pays.
Pierre Schœffer, désormais seul chef de l'imprimerie de Mayence, la fit prospérer, et l'agrandit bientôt en la réunissant à celle de Conrard Hanequis. Ils imprimèrent ensemble les Offices de Cicéron et la Cité de Dieu, livres qui eurent un succès rononcé, c'est-à-dire un grand débit. Malgré la propagation rapide de la typographie, les presses de Mayence avaient une supériorité réelle et une renommée générale. L'office de Martin Crantz à Paris ne nuisait nullement aux intérêts de Schœffer, qui avait dans cette ville des gens à ses gages chargés de vendre les produits de son atelier 2.
Pour compléter l'histoire de la typographie du quinzième siècle, il ne nous reste qu'à indiquer quelles villes se pourvurent d'imprimeries de 1462, époque de la dispersion, jusqu'à l'an 1500.
De 1462 à 1480. — Rome, Paris, Strasbourg, Venise, Rutlingen, Cologne, Nüremberg, Augsbourg, Spire, Ratis-bonne, Naples, Parme, Bologne, Vérone, Louvain, Ulm, Padoue. Pierre Mauser, natif de Rouen, y établit la première imprimerie en 1476. Ensuite vinrent : Vicence, Trévise, Pavie, Lyon (1478), Bruxelles (1478), Mantoue, Zwool, Bresse, Langres, Reggio, Sienne, Modène, Erford, en Allemagne ; Vienne (en Dauphiné).
L'imprimerie de Genève débuta, en 1478, par le Traité des anges, du cardinal Ximenès ; c'est à Pignerol que parurent pour la première fois les Satires de Juvénal en latin, in-folio, 1479.
Amerbach s'établit à Bâle en 1458 et fit venir pour le seconder Jean Froben, qui lui succéda par la suite. Ce dernier se distingua par une probité scrupuleuse et refusa constamment d'imprimer les libelles qui firent la fortune des typographes de Hollande.
La petite ville d'Essling, si célèbre dans un autre siècle et à des titres plus terribles, se distingua de 1475 à 1477 par une singulière spécialité ; elle n'imprima que des livres contre les Juifs, entre autres Pétri Nigri de Judeorum perfidia tractatus, et un Traité contre les Juifs, par le frère Pierre Bruder, de l'ordre des Frères prêcheurs.
De 1480 à 1500. — Londres (1481) ; Bruges imprima Ovide en 1484 ; Florence fit paraître en 1482 le traité de Platon sur l'immortalité de l'âme ; Pise, Ferrare, Crémone, Valence ; Abbeville commença à imprimer en 1486, et fit paraître en 1497 l'Histoire de la papesse Jeanne, in-folio avec gravures, imprimée par Laurent le Rouge, de Valence. Séville (1491), Dôle (1492), Ingolstadt, Turin. La ville de Salonique en Grèce avait une imprimerie dès 1493. Angoulême (1493). Dans cette même année, l'Imitation de Jésus-Christ, par Thomas à Kempis, vit le jour à Lunebourg pour la première fois.
Madrid (1494), Tolède, Toulouse, Eichstadt, Tubingen, Anvers, Haguenau, Fribourg, Barcelone, Pampelune, Grenade, Pise, Westminster, Deventer, Montferrat, Heidelberg, Provins (1497), Burgos et Bombery (1499), Caen et Bourges (1500) 3.
Cet immense développement de la typographie rendit un grand service à la religion pendant ce siècle, en n'imprimant guère que des Bibles et les œuvres des Pères, qui commencèrent dès lors à se répandre universellement.
Dans le prochain article, nous mettrons nos lecteurs au courant des détails de la typographie et de l'aspect matériel des livres jusqu'aux Elzevirs, aux Aide et aux Estienne.
Auguste VITU.
(1) Chaque fois que nous avons jugé utile de citer des ouvrages originairement écrits en langue latine, nous nous sommes servi du texte de la traduction la plus accréditée, sauf à la redresser lorsqu'elle nous paraissait réellement éloignée du véritable sens.
(2) Ceci résulte d'une ordonnance de Louis XI que nous allons transcrire en partie. Ce morceau est curieux à plus d'un titre, en ce qu'il donne la mesure de la bienveillance de Louis XI pour la typographie, et que c'est le premier monument judiciaire ou législatif qui fasse mention de cet art : Lettres qui accordent une exemption de droict d'aubayne en faveur de deux habitants de Maïence, inventeurs de l'imprimerie, pour encourager cet art. Paris, 21 avril 1475.
Louys, etc. De la part de nos chers et bienamés Conrart Hanequis et Pierre Scheffre, marchands bourgeois de la cité de Maïence en Allemagne, nous a esté exposé qu'ils ont commis à Paris plusieurs gentz pour vieulx livres vendre et distribuer, et, entre autres, depuis certain temps en ce commirent et ordonnèrent pour eux un nommé Herman de Stathœn, natif du diocèze de Munster en Allemagne, auquel ils baillèrent et envoyèrent certaine quantité de livres pour iceulx vendre là où il treuveroit au profict desdits Corart Hanequis et Pierre Scheffre, auxquels ledit Stathœn seroit tenu d'en tenir compte, et est cet iceluy Stathœn allé de vie à trespas en nostre dicte ville de Paris ; et pour ce que, par la loi générale de nostre royaume, toustes fois que aucun estranger va de vie à trespassement, sans lettres dénaturante, tous les biens qu'il a en nostre dict royaume, nous compétent et appartiennent par droit d'aubenage, nostre procureur ou autres nos officiers ou commissaires furent prendre, saisir et arrester tous les livres et autres biens qu'il avoit avec lui, et les deniers qui en sont venus, ont été distribuez, après lesquelles choses ledit Conrart Hanequis et Pierre Scheffre se sont tirés par devers nous et les gens de nostre conseil.
Nous, ayant considération de la peine et labeur que les dicts expo-sans ont prins pour le dict art et industrie de l'impression, et au profict et utilité qui en vient et peut venir à toute la chose publique, tant pour l'augmentation de la science que autrement, et combien que toute la valeur et estimation desdicts livres et autres biens qui sont venus à nostre cognoissance ne montent pas de grand chose ladicte somme de 2,425 escus et 3 sols tournois, à quoi les-dicts exposans les ont estimés néantmoins, pour les considérations susdites et autres à ce nous mouvants, sommes libéralement condescendus de faire restituer aux dicts Conrart Hanequis et Pierre Scheffre ladicte somme de 2,425 escus et 3 sols tournois, et leur avons accordé et octroyé, accordons et octroyons par ces présentes, que sur les deniers de nos finances ils ayent et prennent la somme de 800 livres pour chacun an, à commencer la première année au premier jour d'octobre prochain venant, et continuer d'an en an d'aller iu avant jusques à ce qu'ils soient entièrement payés de ladite somme de 2,425 escus et 3 sols tournois, Si vous mandons, etc,
Par le roy, l'évesque d'Evreux et plusieurs autres presens.
(3) L'auteur eût pu signaler, dans cette savante énumération, plusieurs villes de Bretagne, et même de Basse-Bretagne, pays aussi avancé jadis en civilisation qu'il est arriéré aujourd'hui. L'art typographique y était cultivé avec succès depuis plusieurs années, lors-qu'en 1480 l'évêque de Nantes fit imprimer à Vannes, chez François Henner de Hailbrun, un bréviaire sur vélin, format in-12, « orné de singularités », et paginé en chiffres arabes. Avant cette époque, 1es prêtres allaient lire à l'église des bréviaires manuscrits attachés avec des chaînes de fer. Travers pense que le Bréviaire de Vannes fut le premier qui parut en France et même en Europe ; mais son patriotisme exagère peut-être. En 1493, Etienne Larcher, imprimeur à Nantes, publia les Lunettes des princes, poésies de Jehan Meschinot, grant maistre d'hostel de la Royne Anne.
( Bretagne ancienne et moderne, de M. pitre-Chevalier. )
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