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    Trad.

MUSÉE DES FAMILLES (1847-48)

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REVUE SCIENTIFIQUE

POSTE ATMOSPHÉRIQUE


Le génie des inventions est comme le Juif errant. Il ne peut ni s'arrêter ni reculer. Nous rendions compte, il y a trois mois à peine, des phénomènes du chemin de fer atmosphérique de Saint-Germain, et voilà que ces phénomènes ne sont rien près des nouvelles applications du même principe.

Il ne s'agit de rien moins, cette fois, que de substituer des machines pneumatiques aux courriers de la poste, et d'imprimer aux correspondances publiques et particulières une vitesse de cent lieues à l'heure.

M. James propose d'établir deux passages tubulaires, courant parallèlement d'une extrémité à l'autre d'une distance donnée. Ces tuyaux peuvent être placés soit au-dessus, soit à la surface du sol. On les construira indifféremment en métal, en bois ou en briques. A chacune des extrémités de la ligne, et à des stations intermédiaires si on le juge nécessaire, une espèce de pompe, mue par une machine à vapeur, aspirera l'air dans l'un des tubes et le refoulera dans l'autre, de manière à produire un courant très-rapide et continu dans toute la longueur des deux tubes. Les lettres et les paquets que l'on confiera à ces courants seront renfermés dans des sacs sphériques, à la fois très-légers et très résistants, construits en caoutchouc ou toute autre substance élastique, de façon que, quels que soient leur contenu et les chocs qu'ils aient à subir, ils puissent, comme un ballon, reprendre toujours leur forme primitive; et l'on pense qu'entraînés dans le courant d'air par un vent fort, ces sacs toucheront rarement les parois tubulaires.

Voici maintenant comment aura lieu la réception des paquets : aux différentes stations qu'on aura établies, il y aura pour recevoir les lettres des sortes de boites qui, faisant elles-mêmes partie des tubes, seront formées de glaces épaisses qui permettront de voir distinctement ce qu'elles contiennent. Chacune des extrémités de ces réceptacles sera munie de portes glissantes qui pourront être ouvertes et fermées du dehors, et au moyen desquelles les courants d'air pourront être interceptés en tout ou en partie. L'une de ces portes sera pleine, l'autre criblée de trous, afin que l'air qui précède les sacs perde de sa rapidité en passant par ces étroites ouvertures, et qu'ainsi les sacs entrent avec moins de violence dans les réceptacles. En arrivant près de la cloison perforée, la dépêche touche un ressort qui fait mouvoir une sonnette; l'employé, averti par le son, prend la dépêche, et, s'il y a lieu, l'introduit dans un autre passage, ou elle continue, son chemin.

Les dépenses d'établissement « de cet ingénieux moyen de correspondance sont estimées par l'auteur à 2,000 livres sterling (30,000 francs) par mille, et les frais d'entretien de 7,000 à 12,000 francs par an pour cinquante milles.

Les gouvernements ne trouveraient certes pas cela trop cher, pour avoir en ce moment, d'heure en heure, des nouvelles d'Espagne, du Portugal et d'Italie. Nous offrons de parier que M. James sera dépassé bientôt, s'il ne l'est déjà, par des savants qui proposeront de transporter suivant cette méthode, non plus les lettres et les paquets, mais les voyageurs eux-mêmes, dûment enveloppés de caoutchouc. Seulement nous ne savons pas qui se chargerait d'inaugurer ce violent moyen de translation ! Les princes, les ministres, les députés et les ingénieurs s'y refuseraient probablement. Il faudrait, nous le craignons, remonter aux expériences in anima vili, et avoir recours aux galériens et aux condamnés a mort. Ceci prouve qu'il n'en est pas du progrès comme du galon. Quand on prend du progrès, il n'en faut pas trop prendre.

Quoi qu'il arrive de ces rêves scientifiques, il est évident que le trône de la vapeur est ébranlé, que les systèmes atmosphériques tendent à lui dérober son omnipotence.




TÉLÉGRAPHES PARLANTS.  CONCERTS A HAUTE PRESSION.

Il n'est pas jusqu'à la musique à laquelle on ne médita d'appliquer l'air libre ou l'air comprimé, et cela sur une échelle colossale.

On sait que l'électricité, à laquelle on croyait nécessaire de donner un guide dans ses voyages, se passe maintenant de tuteur dans la moitié du trajet. Pénétrant dans la terre où elle semblait devoir se perdre, elle trouve et suit merveilleusement son chemin (1). Eh bien ! s'il faut en croire M. Victor Meunier, qui nous révèle ces prodiges futurs, les sons paraissent devoir se diriger aussi habilement dans l'air que l'électricité dans le sol.

Le docteur Arnolt raconte que, revenant d'Amérique en Europe, un jour, par une brise de terre, un matelot prétendit entendre le son des cloches. On était à cent lieues des côtes. Tout le monde de rire. Le docteur, lui, prend la chose au sérieux ; il remarque que la voile est concave, se place à son foyer, et entend distinctement le son des cloches. Il prend note du jour et de l'heure, et six mois après, de retour en Amérique, il s'informe, et apprend qu'on effet au jour et à l'heure de cette curieuse observation, il y a eu branle-bas général des cloches à Rio-Janeiro.

Ainsi, à l'air libre, le son s'était transmis à cent lieues !

Un autre jour, le même physicien entendit d'un côté d'un lac, qui a sept lieues de large, les cris de marchands d'huîtres et le bruit des rames.

Le docteur Arnolt ne doute pas qu'on ne puisse remplacer ainsi les télégraphes par ce langage parlé ; tout l'appareil consisterait en une surface concave pincée sur une éminence à une extrémité de la ligne, et, à quelques lieues de là, à l'autre extrémité, en un porte-voix parabolique dirigé vers cette surface. On recueillerait les sons en se plaçant au foyer de celle-ci.

Nous avions encore dit, à l'occasion du télégraphe électrique, qu'il ferait assister un jour toutes les villes de France à un concert donné à Paris. Mais les tubes acoustiques paraissent devoir rendre les mêmes services. En 1830, un facteur d'Amsterdam, inventeur d'un orgue expressif, disposa à Bruxelles, dans les salles de l'exposition, un tuyau de mille pieds de long, dont le cornet débouchait dans le musée de peinture., On entendait beaucoup mieux de là que dans la salle même du concert. Dorénavant on ne serait pas privé d'assister à une matinée musicale faute de place ; le même orchestre se ferait applaudir à la fois dans tous les quartiers d'une ville ; la musique aurait le don de l'ubiquité. Mais voici une merveilleuse expérience, qui fait avec celles qui précèdent un triple ou quadruple emploi. Grâce à l'Américain Wheatstone, l'inventeur de la télégraphie électrique (après notre savant Ampère), les gens rangés, qui joignent au goût des arts l'amour du coin du feu, recevront à domicile le concert qui sera donné dans les plus vastes salons. On aura chez soi un piano, une harpe, qui, d'eux-mêmes, sans qu'on y touche, se mettront à répéter sympathiquement l'air qui sera joué dans une pièce éloignée. Ce transvasement de la musique aura lieu à l'aide d'une simple baguette de bois en rapport par l'une de ses extrémités avec le piano dont on jouera, et par l'autre, avec le piano qui paraîtra jouer tout seul, ce qui, nous le supposons, ne sera pas un spectacle médiocrement curieux ; en accrochant la languette, vous évoquerez chez vous l'âme de Liszt ou de Prudent.

En opposition avec ces discrètes jouissances, nous pouvons mettre les concerts-monstres imaginés par M. Andraud, qui, avec M. Tessié du Motay, a fait des expériences curieuses, pleines d'avenir, sur l'air comprimé. « Que sera-ce, dit-il, lorsque nos récipients, avec leur poitrine de fer, soufflant quarante atmosphères, feront vibrer de fortes lames d'acier ou de longues cordes métalliques, surtout si l'on combine la puissance de la percussion avec celle de la vibration soutenue ! Certes, une des plus grandes surprises réservées à l'avenir sera d'entendre le premier de ces concerts-colosses qui domineront les cités, et dont nous ne pouvons nous former une idée que par les roulements sublimes du tonnerre. »

Tels sont les étonnements et les plaisirs que nous ménagent les Christophes Colombs de la science et de l'industrie.



(1) Voir notre  Histoire de la télégraphie, dans le t. XII du  Musée des familles..


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