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    Trad.

MUSÉE DES FAMILLES (1844-45)

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Évolutions du télégraphe

—Nous avions promis à nos lecteurs un dessin des appareils du télégraphe électrique. Nous remplirons aujourd'hui notre promesse. Les trois gravures ci-après représentent, au milieu, l'appareil de transmission, à gauche, les aiguilles magnétiques, et à droite, une sonnerie empruntée aux Anglais. C'est avec ces trois machines qu'on s'entretient aujourd'hui de Paris à Rouen, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

Mais, nous dira-t-on, comment peut-on produire, avec un seul courant lancé sur un seul fil, des signaux assez variés pour répondre à tous les caractères de l'alphabet télégraphique ? M. Arago répond ainsi à cette grave question, dans son rapport à la Chambre des députés :


« I1 s'agit de savoir, dit-il, de quelle manière un courant peut donner naissance à une force intermittente, il est clair, en effet, que la reproduction, au point d'arrivée, d'un signal né à la station du départ, ne peut s'opérer qu'à l'aide d'une force.
« Les physiciens ont reconnu que lorsqu'on fait circuler un courant électrique le long d'un fil plié en hélice tout autour d'une lame d'acier, on aimante la lame d'une manière permanente. Au lieu de recourir à un aimant artificiel pour aimanter les aiguilles de boussoles, on peut se servir aussi avec avantage d'un courant voltaïque.Lorsque la pièce de métal autour de laquelle circule l'électricité est du fer doux, l'aimantation est momentanée. Pendant que le courant circule, le fer est aimanté ; il a des pôles comme une aiguille de boussole. Mais à peine le courant a cessé, que le fer revient à l'état ordinaire.
« Or, personne ne l'ignore, deux masses de fer non aimantées, mises en présence, n'agissent point l'une sur l'autre. Tout le monde sait aussi qu'une masse de fer aimantée attire une masse de fer neutre. Donc, toutes les fois que le courant, dans l'une des stations, passera dans une hélice, autour d'une masse de fer doux, cette masse de fer deviendra momentanément un aimant, et elle pourra produire un effet mécanique. C'est par ce procédé, c'est en faisant naître et en détruisant successivement la force magnétique dans une masse de fer, qu'on peut transmettre au loin tous les divers signaux qu'on a produits dans la station de départ. »


Parmi les systèmes de transmission résultant de ce principe, M. Arago indique celui de M. Morse : « Concevons qu'à la station où l'on doit recevoir la dépêche, on ait une longue bande de papier, mobile entre deux rouleaux à l'aide d'une force mécanique quelconque. La pièce de fer dont nous parlions tout à l'heure, cette pièce, destinée à être successivement aimantée et non aimantée, est placée au-dessus du papier, et par son mouvement de bascule, entraîne un pinceau. Le courant passe-t-il ; la pièce, alors aimantée, est attirée par une masse de fer stationnaire ; elle bouscule et pousse le pinceau jusqu'au papier. Le courant n'a-t-il duré qu'un instant ; le pinceau ne trace qu'un point. L'aimantation a-t-elle eu quelque durée ; le pinceau, avant de se relever, aura marqué un trait d'une longueur sensible sur le papier mobile. Vous pouvez ainsi, à cent lieues de distance, faire succéder sur le papier de votre correspondant, un point à un point, un point à un trait, inlercaler un point entre deux traits, un tirait entre deux points, etc., engendrer enfin des signaux qui suffiront à la correspondance télégraphique la plus variée...


« Veut-on se faire une idée générale, poursuit M. Arago, de quelques-uns des appareils usités en Angleterre ? Concevons dans la localité où l'on fait les signaux, un cercle gradué rotatif, où chaque division représente une lettre de l'alphabet : c'est, par exemple, la lettre supérieure, au moment du repos du cercle, qu'il faut lire pour avoir la dépêche ; les repos de la station du départ devront se représenter dans le même ordre, sur le cercle de la station d'arrivée. Pour résoudre le problème, le cercle de la station d'arrivée est lié à un engrenage arrêté par une pièce de fer doux ; cette pièce est déviée, et dès lors l'engrenage s'avance d'une dent toutes les fois que le morceau de fer voisin devient un aimant par l'action du courant électrique qui circule autour de lui dans une hélice. Le courant est-il interrompu ; la pièce en question, le déclic en fer reprend sa place. A cent lieues de distance, celui qui envoie la dépêche peut donc régler le mouvement du cercle sur lequel le correspondant devra la lire. Ces deux citations suffisent (1) ».


Ces explications de l'illustre secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences complètent celles que nous avons données à deux reprises sur les télégraphes électriques (Voir le numéro de février et le Mercure de juin). Nous n'aurons donc plus qu'à suivre les progrès de cette merveilleuse invention, et qu'à tenir nos lecteurs au courant.

En vain à ces progrès, dont l'avenir est infini, les prophètes de malheur ont opposé des objections chagrines. « — Le télégraphe électrique, disaient les uns, rend inapplicable la loi sur la chasse, les oiseaux qui s'approchent du fer électrisé tombent frappés de mort, et tout le petit gibier va périr ainsi. — C'est au contraire le gibier qui tuera le télégraphe, disaient les autres ; les oiseaux qui viennent percher sur les fils conducteurs interceptent le fluide, et les dépêches leur entrent dans le ventre par les pattes, au lieu de se rendre à Paris ou à Rouen. Ceci eût été très-grave du temps que les bêtes parlaient. Figurez-vous les plus grands secrets politiques livrés au pies et aux moineaux francs. Mais, heureusement pour le télégraphe et pour l'État, ces deux nouvelles contradictoires se sont trouvées aussi fausses l'une que l'autre. On a reconnu là de ces canards que les journaux inventent pour remplir leurs colonnes, depuis qu'ils ont agrandi leur format de plusieurs centiares. Le véritable ennemi de la télégraphie électrique sera plutôt la foudre, sa soeur : on n'est trahi que par les sien ?. L'autre jour le télégraphe jouait pendant l'orage ; l'électricité de l'air agissait tellement sur l'électricité des appareils, que ceux-ci ont commis dans la transmission des dépêches les fautes d'impression les plus singulières. Jamais compositeur distrait ne se permit tant de bourdons et de coquilles. Il faudrait, en ce cas, joindre au télégraphe imprimeur un télégraphe correcteur. Ce même jour, la foudre s'est livrée à une plaisanterie moins innocente, en volatilisant les petits fils de cuivre enroulés en spirale autour des appareils, et en faisant fondre sur son passage quatre poteaux consécutifs. L'employé qui attendait les signaux, ainsi interrompus, est fort heureux d'en avoir été quitte pour la peur. Il eût pu recevoir, au lieu de la dépêche, un coup de tonnerre en pleine poitrine. On obviera à cet unique, mais terrible inconvénient, par une sonnerie comme celle qui fonctionne à l'Observatoire, et qui avertit l'employé, par un carillon, lorsque le fil est surchargé d'électricité.



(1) Rapport de M. Arago, Moniteur universel, et Procès-verbaux de la Chambre des députés.

Les "nouveaux" types de télégraphe



PITRE-CHEVALIER.


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