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MUSÉE DES FAMILLES (1835-36) |
Une seule phrase,
jetée au milieu d'un article
publié par le Musée des Familles, a fait
naître de tristes débats que la loi autant que
notre esprit d'impartialité nous contraignent de reproduire.
Si nous avons consenti à le faire aussi longuement c'est
afin de mettre un terme à cette lutte littéraire,
de clore cette véritable mêlée
dramatique dans laquelle ne manque aucun personnage : L'auteur
célèbre, l'auteur en vogue malgré
l'éclat qui s'attache à son nom,
—l'écrivain inconnu malgré
l'intérêt qu'inspire tout jeune homme à
ses débuts dans une carrière difficile,
—le directeur de théâtre,
malgré ses habiles combinaisons pour faire payer au parterre
ses victoires dramatiques, —l'éditeur
théâtral marchandant la valeur
littéraire du drame moderne, —et enfin, enfin le
redoutable feuilletoniste des Débat, celui dont les deux
seules initiales sont la terreur des vaudevillistes et qui
jusqu'à présent avait joui du
privilège de pouvoir attaquer sans réplique. Dans
ce drame, qui se passe hors la scène et dans les colonnes du
journal à deux sous, tous les rôles sont remplis,
tous les caractères se développent parfaitement,
quelque confuse que paraisse l'action, et quelque
hérissées de notes et de pièces qui
soient les pages du récit.
Un
seul espoir affaiblit le regret que
nous éprouvons de servir d'organe a une si triste
révélation des mœurs
littéraires de notre époque.
L'immense
publicité que lui
donne le Musée des Familles éclairera, nous
l'espérons, cette foule de jeunes nommes qui,
trompés par leur imagination, aspirent à quitter
leur province, leur famille, leur foyer, leur profession modeste et
lucrative pour les échanger contre la gloire et le
bien-être de la vie littéraire et artistique de
Paris.
Qu'ils regardent de
près
quelle est cette gloire, quel est ce bien-être !
A M. S. HENRY BERTHOUD.
Monsieur le Directeur,
J'ai publié dans le
n° XXI du Musée des Familles un article que vous
m'avez fait l'honneur de me demander sur l'ancienne Tour de Nesle. Dans
cet article, j'ai conté en passant et sous forme de
causerie, sans prétention aucune, comment l'idée
m'était venue de faire un drame, dont personne ne m'a
contesté la pensée première ;
drame imprimé, publié, depuis plus de deux ans,
et représenté aujourd'hui pour la
deux-centième fois sous mon nom, de l'aveu de M. Dumas
lui-même.
Du reste, je n'ai pas dit un mot de M.
Dumas, je n'ai fait aucune allusion à la discussion
juridique et littéraire qui s'éleva jadis entre
lui et moi. ( On peut s'en convaincre par la lecture de mon article. )
J'aurais eu scrupule, en effet, de ranimer en quoique ce fût
une querelle depuis longtemps éteinte, et à
laquelle une transaction amiable a mis fin ; transaction
proposée par M. Dumas lui-même, ainsi que je le
dirai dans la suite, et par laquelle fut arrêté
dans son principe, le débat public que j'avais alors, moi,
désiré, provoqué.
Quoi qu'il en soit, aujourd'hui M. Dumas
revient sur cette affaire ; il en réunit les
cendres froides et éparses, les hisse dans sa main, et les
attisant de tout son souffle, en rallume le feu, au risque de s'y
brûler les doigts. Puisqu'il m'a jeté le gant, je
le ramasse. Il m'a provoqué, je lui réponds. Tant
pis pour lui s'il est blessé dans ce jeu, si sa
réputation s'y trouve compromise : il ne
dépend pas de moi d'éviter le combat.... Je suis
l'offensé, l'insulté ! et si jamais le
talion fut permis, c'est à celui qui n'a point
recherché l'attaque... A celui-là la vengeance
est sacrée et es représailles saintes. Il use du
droit de naturelle et légitime défense !
J'arrive donc à l'histoire
complète et vraie de la Tour de Nesle. J'appuierai mon
récit sur des preuves écrites et
signées par les personnages mêmes de cette
histoire, et quand les preuves me manqueront, je mettrai sous les yeux
du lecteur les présomptions et les vraisemblances de la
cause, en lui disant : méditez et jugez !
Mais dans un pareil procès
où l'honneur est tout, où la preuve
écrite de bien des faits généraux ne
peut être rapportée ( il eût fallu pour
cela avoir pressenti l'avenir et deviné ce qui arrive),
où chacun des plaidants a besoin d'être cru dans
certains cas, parce qu'il a toujours dit vrai dans les autres,
où celui qui a menti une fois, au contraire, n'est plus
digne de créance ; dans une affaire enfin
où la bonne foi doit l'emporter sur le mensonge, quand tous
deux n'ont plus pour garant qu'une parole, je dois et je veux, avant
toute chose, convaincre mon adversaire d'inexactitude (je serai poli
dans les termes ), et cette inexactitude prouvée, je la lui
cloue au front, comme l'écriteau du flétri au
faite de la potence, afin que le stigmate en survive et plane
incessamment sur le coupable, aux yeux des juges de ce
procès.
M. Dumas déclare (je commence
par la première phrase de son article ayant rapport
à la Tour de Nesle), il déclare qu'ayant
reçu la visite de M. Harel, celui-ci lui dit:
« la pièce est à moi, elle
m'appartient par un bel et bon traité, j'ai le droit de la
faire refaire à mon gré, par qui bon me
semblera »... et plus loin: « Vous avez
fait signer un traité au jeune homme, m'avez-vous dit ?
— Oui. — Sur quelles bases ? —
Mais d'après le marché de la Porte
St-Martin ; deux louis par représentation, un louis
pour lui, un louis pour Janin, et douze francs de
billets. » Puis en note M. Dumas ajoute :
« Ce traité est encore entre les mains de
M. Harel. » Eh bien, autant de mots, autant d'inexactitudes.
Voici le seul traité qui ait jamais existé entre
moi et M. Harel, c'est celui qu'on me fit signer, je dirai par quelle
manœuvre, quand on me fit accepter la collaboration de M.
Janin.
« Entre MM. Gaillardet et
Jules Janin, hommes de lettres, d'une part, et M. Harel, directeur de
la Porte St-Martin, d'autre part, il a été
convenu ce qui suit :
MM.
Gaillardet et Jules Janin remettent
et cèdent à M. Harel, pour être
joué au plus tôt sur le
théâtre de la Porte St-Martin, un drame en cinq
actes intitulé la Tour de Nesle.
M. Harel reçoit l'ouvrage et
le fera représenter très incessamment.
Fait
double à Paris, le 29 mars 1832.
Harel. »
Que l'on compare ! Et M. Dumas dit en
note, « Ce traité est encore entre les
mains d'Harel ! » Ce qui signifie je l'ai vu et lu :
Mais continuons.
Le drame fut joué, dit M.
Dumas. « On nomma le
jeune homme. » ( M. Dumas a employé d'un bout
à l'autre, pour me désigner, cette expression).
« Entendre trépigner toute une salle
demander votre nom, et livrer à la place du sien, un nom
inconnu à l'auréole de la
publicité ; et tout cela, lorsqu'on peut faire
autrement, lorsqu'aucune promesse ne vous lie, lorsqu'aucun engagement
n'a été pris ; c'est la philosophie de
la délicatesse poussée au plus haut
degré. »
Eh bien, voici la lettre qu'avant la
représentation je reçus de M. Dumas, et les
conditions auxquelles seules je consentis à laisser jouer la
pièce:
« Monsieur, Harel,
avec qui je suis en relation continue d'affaires, est venu me prier de
lui donner quelques conseils pour » un ouvrage de vous qu'il
désirait monter.
J'ai saisi avec plaisir cette occasion
de faire arriver au théâtre un jeune
confrère que je n'ai pas l'honneur de connaître,
mais que je désire bien sincèrement y voir
réussir. J'ai aplani toutes les difficultés qui
se seraient présentées à vous pour la
mise en répétition d'un premier ouvrage, et votre
pièce telle qu'elle est maintenant, me paraît
susceptible d'un succès.
Je n'ai pas besoin de vous dire,
monsieur, que vous en restez seul auteur, que mon nom ne sera pas
prononcé ; c'est une condition sans laquelle je
reprendrais de l'ouvrage ce que j'ai été assez
heureux pour y ajouter. Si vous regardez ce que j'ai fait pour vous
comme un service, permettez-moi de vous le rendre, et non de vous le
vendre.
Duvernoy vint me trouver, poursuit M.
Dumas, « et nous réglâmes,
séance tenante, les conditions du marché. La
vente fut arrêtée à l, 400 fr., dont
700 devaient être remis au jeune homme. » Cette
somme ne parut pas sans doute au jeune homme proportionnée
au mérite de son drame.... Au bout de quinze jours il signa
cette vente pour une somme de 500 fr. Le jeune homme aurait mieux fait,
vous le voyez, de continuer à me charger de ses affaires
d'intérêt. »
Voici une déclaration
signée de M. Duvernoy.
« Par le
même esprit d'impartialité qui m'a fait donner
à M. Alexandre Dumas une déclaration dans
laquelle j'ai reconnu que M. Gaillardet m'avait proposé le
manuscrit de la Tour de Nesle ( nous verrons ceci plus tard ), je
déclare qu'il n'a jamais été question
de 1, 400 fr. pour le prix dudit manuscrit, mais d'une somme que je
crois être de 1000 fr. »
Paris,
8 septembre 1834.
Maintenant lecteur, parlez. Laquelle est
portée plus haut chez M. Dumas, ou la philosophie de la
délicatesse, ou bien celle de l'assurance ?...
J'en ai bien d'autres, et de toutes les
philosophies à citer ! mais elles trouveront place dans mon
récit ; car maintenant, oui maintenant, je me sens
assez fort pour l'entreprendre !
Ce fut le 27 mars que je lus mon drame
de la Tour à M. Harel en présence de M. Janin et
de Mlle Georges. Le drame fut reçu.
« Dumas ne ferait pas mieux, s'écria le
directeur avec enthousiasme ! il y a pourtant quelque chose
à retoucher au style qui n'est point assez
scénique, mais ne vous en inquiétez
pas : commencez un autre drame, et Janin nous fera le plaisir
à vous et à moi, de réviser quelques
pages. » Je ne compris pas trop comment M. Janin qui
n'avait jamais fait de drame, aurait un style scénique,
suivant l'expression du directeur, mais s'il n'en a pas fait, me dis-je
à part moi, il en a beaucoup entendu, ce qui
peut-être revient au même ; je
déclarai donc que je serais
très-flatté et surtout
très-reconnaissant si M. Janin voulait bien me sabler
quelques phrases. M. Janin y consentit de la meilleure grâce
du monde, et je sortis joyeux, enchanté et de M. Harel, et
de M. Janin et de Mlle Georges. J'étais au
septième ciel... L'ivresse ne fut pas longue !
Deux jours après, le 29 mars,
j'allai voir ce qu'était devenu mon drame
Janinisé !... Quelle fut ma surprise en voyant tout un acte
récrit ! mais c'est un travail bien grand, dis-je
à part au directeur : M. Janin fait
beaucoup plus que je n'avais désiré, car je ne
crois pas mon style si mauvais qu'il faille... — Non, non,
certainement, me répondit M. Harel, mais Janin y met de
l'amour-propre, il veut au moins faire sa part. —Comment sa
part? — Oui sa moitié. — Mais c'est donc
une collaboration ? il y a un mal-entendu ; je vais
le dire à M. Janin. — Ah! malheureux,
qu'allez-vous faire ? vous allez offenser Janin. Janin le plus
puissant des feuilletonistes !
Vous vous créez un ennemi
pour la vie. — Bah ! — C'est comme je vous
le dis. Vous ne savez pas ce que c'est que le
théâtre ! — Mais... — Et puis
d'ailleurs, il y a commencement d'exécution ! les
choses ne sont plus entières. Vous êtes
liés de part et d'autres, etc., etc. Si bien que M. Harel me
voyant étourdi, prit une feuille de papier, y griffonna le
traité que j'ai transcrit plus haut, me le fît
signer.... Et voilà comment j'eus mon premier collaborateur.
Alors j'attribuai cet
événement à un mal-entendu,
aujourd'hui je l'attribue à un très bien entendu
: les idées changent avec le temps !
Mais le jour était venu
où M. Janin devait nous lire son travail. Je n'en dirai
rien, car je pratique, autant que je le puis, la charité
avec mes ennemis mêmes !... Qu'on sache seulement
que, d'un commun accord, ce travail fut jugé non avenu.
Janin se retira et se désista complètement (j'en
donnerai la preuve écrite), et M. Harel revint purement et
simplement à mon drame.
Or, depuis le jour ou j'avais lu ma
pièce, j'avais conçu de nouvelles
idées et des améliorations dues, tant
à la discussion et aux critiques du directeur,
qu'à mes réflexions propres.
Mais afin d'éclairer le
public sur les mystères vrais de l'enfantement de la Tour de
Nesle, et de l'initier, pour ainsi dire, aux phases et aux
développemens du travail, par lequel fut engendré
ce drame-monstre par son succès et par les querelles qu'il
soulève ; je vais dire et établir ici
succinctement ce qu'était, en gros et dans ses rapports avec
le drame représenté, le drame que je lus
à M. Harel, et qui me revint, à
l'époque dont je parle. Il sera facile à tous de
me comprendre d'abord (qui n'a vu la Tour de Nesle ?), de me
vérifier ensuite, M. Dumas ayant entre les mains le
manuscrit primitif, et le montrant à qui le
désire : aussi peut-on être
assuré que je dirai moins que plus. Je cite de
mémoire, et mon adversaire tient le livre !
Ici M. Gaillardet donne le
résumé de son premier manuscrit, et
continue :
Le lecteur a déjà
saisi par quels points se touchent les deux drames. Ces points, dans le
peu que j'ai cité, et cité fidèlement,
on pense (car si j'étais homme à m'affubler
audacieusement d'un mensonge, moi, mon adversaire aurait en mains de
quoi me démasquer ). Ces points ne sont-ils pas
déjà les bases fondamentales du drame
joué ? N'en sont-ce pas et les os et la
moële, les matériaux et la charpente ?....
Oui, j'ose le dire, n'eussé-je fait que cela dans la
pièce, j'aurais fait plus de la moitié du drame,
par conséquent dix fois, vingt fois plus que M. Dumas ne
m'accorde, puisqu'il ne m'accorde rien. Rien, il a osé
l'écrire et l'imprimer en toutes lettres ! Mais
d'après ce que nous savons de lui, de quoi pouvons-nous et
devons-nous nous étonner ?
Mais M. Harel m'avait exprimé
plusieurs regrets. Le premier, que le drame ne fût pas en
tableaux. Ce genre convenait mieux aux allures de son
théâtre, et le succès de Richard
appuyait cette opinion.
Le second, que je n'eusse pas fait
Buridan, père de Gauthier et de Philippe dont on ne
connaissait que la mère (Marguerite). Cela compliquerait
l'intrigue, me disait-il.
Enfin il trouvait invraisemblable que
Marguerite, reine et toute puissante, ne fit pas arrêter et
disparaître Buridan dès les premiers mots de sa
révélation.
Du rapprochement de ces deux
dernières objections jaillit pour moi, soudain, une
lumière immense.
Que Buridan soit père en
effet au moyen d'une intrigue préexistante, et qu'il soit
arrêté par Marguerite qui voudra s'en
défaire; puis, au moment de son plus grand péril,
qu'il se fasse reconnaître... et voilà l'occasion
d'une scène magnifique, capitale !
La scène de la prison
était trouvée.
Deux jours après le jour
où Janin avait renoncé au drame, comme
l'athlète épuisé à la
tâche trop ardue, je portai au directeur de la Porte
Saint-Martin, M. Harel, un Scénario qui était
à peu de chose près, celui de la Tour de Nesle
actuelle.
Je vais pourtant indiquer les différences.
Orsini n'était point
tavernier : c'était Landry, quoique tous deux
fussent des hommes de la Tour de Nesle.... Quant à Orsini,
c'était un de ces magiciens fort redoutés, dans
ce temps, sous le nom d'envoûteurs. Confident de Marguerite,
il recevait chez lui les seigneurs de la cour, rôle
à peu près semblable au Ruggieri d'Henri
III ; c'est pour cela, je pense, que M. Dumas l'a fait
tavernier à la place de Landry.
Deuxièmement, la
scène de la prison était ainsi tracée,
que Buridan devait terminer son récit en tendant les mains
à Marguerite, et lui dire :
« Délie ces
cordes ! » Marguerite tombant à
genoux obéissait, et le déliait d'un seul coup.
M. Dumas a triplé cet effet
en faisant délier Buridan en frois fois ;
voilà ce que je dois avouer et dire. Il a
été, là, au-dessus de moi de toute la
hauteur du talent éprouvé sur la faiblesse qui
s'essaie, du faire sur l'inexpérience !
Quant à ta
vérité de ce que j'avance, elle se trouvera, pour
tout lecteur impartial, d'abord dans la précision, la
textualité des détails, si je puis m'exprimer
ainsi ; je ne cite pas seulement ce qui se trouve dans la Tour
de Nesle actuelle, mais ce qui ne s'y trouve pas, entr'autres une
scène du quatrième tableau. Buridan venait en
Bohémien et non en capitaine, chez Orsini sorcier. Celui-ci
voulait en imposer au Bohémien, qui lui
révélait les meurtres de la Tour de Nesle comme
il les avait révélés à
Marguerite ; et bientôt l'envoûteur
tombait aux genoux du Bohémien, pris aux propres
superstitions que lui-même inspirait au vulgaire,
à savoir que peut-être il y avait de vrais
sorciers ! Cette scène a dû disparaître
du moment qu'Orsini était fait tavernier.
Ensuite, j'ai pour
probabilité, je devrais dire pour preuve de ma parole, la
parole même de M. Dumas, dans cette lettre où il
me dit : Harel est venu me demander des conseils pour un drame
de vous qu'il désirait monter. Votre pièce... Ce
que j'ai été assez heureux pour y ajouter... etc.
On ne parle point ainsi d'un ouvrage dans lequel on a tout fait. Puis
un mot de M. Harel, que je reçus avant mon départ
(après la retraite de Janin ), et dans lequel il me dit:
« Écrivez-moi, soignez votre
santé, et surtout travaillez ! » II y
avait donc des modifications, des changemens
arrêtés, un travail à
faire !... On le nie, je l'affirme, et j'affirme avec
pièces !... C'est au lecteur à juger ! 1
Et maintenant vous concevez qu'il
m'importera peu que M. Dumas ait eu, oui ou non, entre les mains mon
premier manuscrit. J'ai démontré qu'il a eu mon
second plan ! D'un autre côté, il avoue
lui-même avoir possédé et
copié en partie, le manuscrit de Janin, qui était
le mien gâté... Que me faut-il de plus ?
Je reprends donc mon histoire
où je l'avais laissée. Les félonies
vont s'y succéder comme un feu de file.
Ce fut le 8 avril que je portai
à M. Harel mon scénario. Le 9, mon
père mourut. Mon père, venu tout
exprès à Paris pour m'arracher à la
contagion qui régnait sur la ville, et que la joie
d'assister à ma première pièce fit
rester auprès de moi ! ! Mon
cœur se serre à ce souvenir !.. Le 10,
messager de mort, j'allai consoler ma pauvre mère. Ce fut la
veille de ce jour que M. Harel m'écrivit le billet dans
lequel il me disait : « Soignez-vous
bien. » Misérable ironie, qui
m'était jetée entre un malheur qui m'atteignait
et une spoliation qui allait m'atteindre ! Partez, m'avait-il
dit, j'ai une pièce avant la vôtre, vous avez
trois mois devant vous. Soyez tranquille et
écrivez-moi ! »
II y avait à peine un mois
que j'étais parti, quand j'eus besoin d'écrire
à M. Janin pour lui demander une annonce relative
à la Tour de Nesle. Un livre venait de paraître
sur le même sujet (L'Écolier de Cluny), et je ne
voulais pas qu'on crût ma pièce tirée
du livre. Janin me répondit:
« Je ferai volontiers ce que vous me
demandez ; mais à quoi bon ? Je vous
annonce la prochaine représentation de votre
pièce. Je dis votre et non pas notre, parce que je n'y suis
plus absolument pour rien : vous le savez, la chose est entre
vous et M. Harel, cela est depuis long-temps convenu, etc.
»
Signe J. Janin. » 10 mai 1832. »
Du reste, pas un mot de plus.
J'écris à Paris, et j'apprends que M. Dumas a
été fait et s'est fait mon collaborateur. Je
laisse au lecteur à penser quels sentimens furent les
miens!.......Hors de moi, tremblant de colère et
d'indignation, j'écris à M. Harel pour lui
défendre de jouer la pièce ; a M. Dumas
pour le prier d'y mettre obstacle. « Sans doute vous
avez été trompé, lui disais-je, la
pièce m'appartient en propre et à moi
seul : je ne veux point de collaborateurs, surtout de
collaborateurs furtifs et imposés, je vous prie donc, au nom
de votre honneur, et vous somme au besoin d'interrompre les
répétitions, etc. » Point de
réponse ! ni de M. Harel, ni de M.
Dumas !... Je pars, et avant de descendre chez moi,
j'entre en habit de voyage chez M. Harel.
—« Je suis un homme ruiné, me
dit-il, je vous ai trompé, c'est vrai... »
— Maintenant qu'allez-vous faire ?...
Arrêter la pièce ?... Vous n'y
parviendrez pas.... J'en change le titre et je la joue. Vous m'attaquez
en contrefaçon, vol, plagiat, tout ce que vous voudrez. Vous
obtiendrez 1200 fr. de dommages et intérêts.
Demandez à un agréé ! Si vous laissez
jouer au contraire, vous gagnerez 13, 000 fr.,
etc. » II disait vrai, car telle est la protection
que d'ordinaire nos juges accordent à l'écrivain
qu'on dépouille !... Je rentrai chez moi
pâle de rage, et ce fut alors que je trouvai la magnifique
lettre de M. Dumas citée par moi au commencement de cet
article. Tels sont les premiers faits.
Que direz-vous maintenant de ces lignes
de M. Dumas ? « J'écrivis au jeune homme,
et le jeune homme ne me fit pas l'honneur de me
répondre ! » Cette fois, c'est la
philosophie de la véracité à sa
quatrième puissance ! On n'y croirait pas, si je
n'avais entre les mains les titres et les moyens de prouver ce que
j'avance !
M. Dumas n'ayant point
accédé à la prière,
à la sommation que je lui avais faite d'arrêter
les répétitions de la pièce (ce qui
fut la première, sinon la seconde de ses fautes, dont il ne
se lavera jamais, parce qu'elle prouve sa complicité) et M.
Harel, me menaçant de jouer malgré moi, ce qu'il
était capable de faire moralement et physiquement, il ne me
restait plus qu'à laisser représenter mon drame
aux conditions stipulées dans la lettre de M. Dumas, et dans
laquelle il était dit : « Que
son nom ne serait pas prononcé, que je restais seul auteur,
que c'était un service qu'il voulait me rendre et non pas me
vendre... »
Eh bien, le lendemain de la
représentation, des étoiles parurent sur
l'affiche avant mon nom, et aujourd'hui M. Dumas veut remplacer mon nom
par le sien : on voit qu'il y a progression !
Ce n'est pas tout. Quand il s'agit de
paiement, on ne voulut plus me donner qu'une part. Or,
écoutez bien. La commission des auteurs avait fait, dans le
courant d'avril, avec M. Harel, et avant la représentation
de ma pièce, un traité qui stipulait un droit de
dix pour cent pour les auteurs, dans les spectacles à venir
de la Porte-saint-Martin. J'avais donc droit au
bénéfice de ce traité. M. Dumas en
jouissait, et au-delà : aussi touchait-il deux et
trois cents francs par soirée. Que me
réservait-on à moi ? 48 francs, prix d'un ancien
traité ! et M. Dumas m'en prenait la moitié.......
Voilà le service qu'il avait voulu me rendre et non me
vendre !!!
Il n'y avait que les tribunaux
à invoquer contre de pareils actes, comme il n'y a que la
police correctionnelle contre le vol et la filouterie. C'est donc aux
tribunaux que j'eus recours.
Et si l'on veut encore la preuve de tout
ceci, je l'ai en main tracée et libellée dans les
actes juridiques et authentiques qui commencèrent
l'instruction de ce procès.
Mais ce procès effrayait un peu la conscience publique de M.
Dumas, à ce qu'il paraît, car il me proposa de
l'arrêter par une transaction.
Dans cette transaction, nous nous reconnûmes de part et
d'autre :
1°
auteurs en commun de la Tour deNesle.
2°
II fut spécifié que cette
pièce serait à tout jamais imprimée et
jouée sous mon nom, suivi d'étoiles.
3°
M. Dumas me garantit une somme fixe de 48 francs par
représentation, et moitié de ses billets.
— A quelle somme s'élève-t-il, lui,
demandai-je de bonne foi ? — A 36 francs, sur mon honneur,
répondit-il en regardant M. Harel. » Et
j'acceptai 18 fr. de billets.
Le lendemain, M. Harel ne voulut plus
exécuter, en ce qui le concernait, la transaction ci-dessus,
dont il avait été l'instigateur et le
témoin. Il fallut un jugement pour l'y contraindre, et M.
Dumas le blâma cette fois. J'eus à le remercier...
C'était la première fois et la
dernière. Aussi a-t-il cité ma lettre !
Peu de temps après, j'appris
que M. Dumas, qui m'avait déclaré sur l'honneur
n'avoir que pour 36 fr. de billets, en avait pour plus de 50 ! mais en
faisant le serment, il avait regardé M. Harel.
Le manuscrit était encore
à vendre ! Barba qui en avait donné mille francs,
et jamais 1, 400, n'en donna plus que 500 francs. La moitié
de cette somme devait être payée comptant,
à chacun de nous, et le reste à six mois de date.
Au bout de quelques jours, quand j'allai
chez M. Barba pour toucher mes 125 fr., j'appris que M. Dumas
était venu réclamer ma part de comptant avec la
sienne, s'y disant autorisé par moi !
Il y a dans un pareil fait quelque chose
de si incroyable, de si petit, de si dégradant pour l'homme
de lettres, que je n'aurais osé le citer, si je n'en
possédais aussi la preuve écrite, et
écrite par M. Dumas lui-même !
En effet, quand M. Barba m'apprit cela,
n'osant y croire, j'écrivis à M. Dumas, qui me
répondit : « qu'il avait en
effet touché 250 fr. Mais que Barba lui avait dit avoir avec
moi des conventions particulières (Ne dirait-on pas que
c'est M. Barba qui a voulu payer
comptant ? ) ; que du reste, il m'avait mis
à même d'exiger le même avantage pour
moi que pour lui... que je me serve de sa lettre pour me
faire aussi payer comptant, qu'il m'y autorisait, etc. »
C'était se servir d'un
premier vol pour en commettre un second : deux
indélicatesses au lieu d'une ! j'aimai mieux être
réglé en papier de six mois. 2
Or, savez-vous, M. Dumas, vous qui dans
votre lettre m'avez traité de pauvre diable, savez-vous ce
que je pourrais vous répondre ?... Je suis homme de
trop bonne compagnie pour vous le dire ?
Maintenant, et pour sortir au plus
tôt de ces indignités dont le tableau fait mal, je
dirai que je ne me serais point opposé à
l'insertion de la Tour de Nesle dans les œuvres
complètes de M. Dumas, (quoique ce droit
résultât rigoureusement pour moi des termes
mêmes de notre transaction), si M. Dumas avait consenti
à faire une simple mention de ma collaboration sur cette
pièce. Telle est la méthode que suit aujourd'hui
M. Scribe. Mais à une lettre polie, M. Dumas
répondit par une de ces politesses dont il brigue le
monopole 3.
Enfin, si j'ai demandé par
huissier, à M. Dumas, mon manuscrit premier, c'est qu'il y a
une déloyauté inouïe, de sa part,
à mettre en regard de ce seul et unique manuscrit une
pièce qui en eut trois pour modèle, et dont elle
est en tous points le calque ou la copie.
Voilà la
vérité sur la Tour de Nesle, et la
vérité tout entière. Aux documens que
j'ai fournis, aux preuves que j'ai données, je dois ajouter
qu'appelé devant la commission des auteurs, notre pairie,
j'ai cité et énumèré tous
ces détails et tous ces faits en face de M. Dumas
lui-même !... Et là, comme ici, j'ai senti plus
d'une fois mes joues se colorer d'une pudeur involontaire. C'est que
naguère encore M. Dumas était grand et saint
à mes yeux, de la grandeur du talent, de la
sainteté de l'art !...
Aussi, quant à cette lutte
qu'il a provoquée succédera une autre lutte,
peut-être ma main tremblera... car il y a dans M. Dumas,
l'artiste au-dessus de l'homme, et sous une honte une gloire!
P. S. A l'appui de ses attestations, M. Dumas a appelé
divers certificats à chacun desquels je n'accorderai que ce
qui est nécessaire pour en faire apprécier la
valeur et le poids
Je ne dirai rien de M. Harel. M. Harel,
le premier coupable dans tout ceci, et dont M. Dumas est le complice II
devrait y avoir pudeur à M. Dumas d'invoquer un tel
témoignage....
M. Verteuil, secrétaire de M.
Harel, assure « avoir été
chercher chez M. Dumas, au fur et à mesure qu'il les
écrivait, les cinq actes de la Tour de Nesle
(très-bien) ; les avoir recopiés
entièrement sur son manuscrit ( parfaitement bien ) ! qui
n'avait aucune ressemblance avec celui
( lequel ? ) de M. Gaillardet,
manuscrit qui était depuis trois mois environ entre mes
mains... » Ah! M. Verteuil, je vous
arrête!... la Tour de Nesle a été
représentée le 31 mai. C'est le 29 mars (voir
plus haut la date) qu'a été reçu mon
manuscrit.... Je suis parti le 10 avril, M. Dumas était mon
collaborateur le 11.....Il déclare avoir fait son travail en
huit jours, et vous déclarez, vous, que mon manuscrit
était alors depuis trois mois environ entre vos
mains !.... Oh ! vous êtes en effet, M.
Verteuil, secrétaire de M. Harel !....
M. Duvernoy certifie que j'ai voulu
vendre le drame (je le crois bien ) ! Il m'a certifié
à moi que M. Dumas a cité un prix faux, c'est un
peu plus positif 4.
Il ne reste plus maintenant que
l'attestation de M. Janin. Ah, celle-là, je l'avoue, je ne
m'y attendais guère. M. Janin écrit que rien
n'est plus vrai que les détails de M. Dumas, dont il croit
se souvenir, et qu'en somme la réplique de M. Dumas est
véridique et M. Dumas déclare que Janin,
accepté par moi pour collaborateur, lui avait
cédé ses droits et envoyé M. Harel...
C'est trop fort ! M. Janin oublie donc qu'il n'avait plus de droits,
qu'il s'était désisté, qu'il me l'a
déclaré clans une lettre écrite et
signée de sa main 5?.
Ce n'est pas pas tout, et puisqu'il faut
que je le dise, apprenez donc, lecteur, qu'après la
première représentation de la Tour de Nesle, ce
fut M. Janin qui m'engagea à réclamer ;
ce fut chez lui que j'écrivis ma
réclamation ; ce fut lui qui voulut me la dicter,
et me la dicta ! Il était furieux d'indignation contre MM.
Harel et Dumas !
Ce n'est pas tout ! à la
suite du procès qui s'éleva entre M. Harel et moi
devant le tribunal de commerce, M. Janin écrivit
lui-même à M. Darmaing, pour appuyer une
réclamation que je fis à la Gazette des
Tribunaux : « je prie M. Darmaing
d'insérer la petite note ci-jointe. Je l'en prie en mon nom
et en celui de M. Gaillardet. Je ne comprends pas
l'opiniâtreté avec laquelle on cherche
à dépouiller ce jeune homme de ce qui lui
appartient, etc. » ( Voir la Gazette des Tribunaux
du 1er juillet 1832 ).
Qu'en dites-vous, lecteur ?...
J'avais promis de conter les petits secrets de cette apostasie, mais la
place me manque ; et puis j'ai réfléchi
que cela n'en valait pas la peine
Et
je signe, F. GAILLARDET.
M. Dumas, en partant pour Marseille, a
prié le directeur du Musée des Familles, de
joindre à la réponse de M. Gaillardet, pour toute
réplique, les quatre lettres suivantes, publiées
déjà dans le Courrier des
Théâtres, et reproduites par d'autres journaux.
Puisqu'on invoque mon
témoignage, je rends hommage à la
vérité en déclarant exacts les faits
relatés dans la lettre de M. Alex. Dumas au directeur du
Musée des Familles, en ce qui concerne la manière
dont la Tour de Nesle a été composée
et les arrangemens pécuniaires dont cette pièce a
été l'objet entre M. Alexandre Dumas et M.
Gaillardet. Paris, le 6 septembre 1824.
Harel,
Directeur
du théâtre de la Porte-St-Martin.
Alexandre Dumas a dit dans le
Musée des Familles la vérité, et rien
que la vérité à propos de la Tour de
Nesle. il est bien vrai qu'il l'a composée sans avoir lu le
manuscrit de M. Gaillardet et fort peu le mien, heureusement pour le
drame, qui y a beaucoup gagné. Puisque mon nom a
été prononcé dans cette affaire, et
puisque non témoignage est invoqué, je ne puis
que regretter que M. Gaillardet se soit exposé à
cette très-véridique réplique. Il n'y
a rien de plus vrai que les autres détails
pécuniaires, dont je crois me souvenir
parfaitement : il est impossible d'avoir à la fois
plus de loyauté que M. Dumas n'en a eu dans cette affaire,
et en même temps de mieux faire quelque chose d'une
idée qui n'était qu'une idée.
Et
je signe : Janin
Je certifie que M. Gaillardet et son
frère se sont présentés à
la maison Barba, dont j'étais le principal commis, deux ou
trois jours après la représentation de la Tour de
Nesle, pour traiter de la vente de ce drame. Nous leur avons
répondu que le bruit public désignant M. Dumas
comme l'auteur, nous ne pouvions traiter que de son consentement. Cette
réponse entraîna environ trois semaines de
délai, au bout desquelles nous fîmes enfin de MM.
Gaillardet et Dumas l'acquisition de la pièce, moyennant la
somme de cinq cents francs. Paris, le 6 septembre 1834.
Duvernois
Je certifie avoir
été chercher chez M. Alexandre Dumas, au fur et
à mesure qu'il les écrivait, les cinq actes de la
Tour de Nesle, les avoir recopiés entièrement sur
son manuscrit qui n'avait aucune ressemblance avec celui de M.
Gaillardet, lequel manuscrit était depuis trois mois environ
entre mes mains ; que quant aux autres détails
contenus dans la lettre de M. Dumas, il est à ma
connaissance qu'ils sont de la plus exacte
vérité, et que M. Duvernoy lui-même m'a
raconté, quelques jours après la
démarche de M. Gaillardet, que ce dernier s'était
présenté chez M. Barba pour lui vendre, sans la
participation de M. Dumas, un manuscrit écrit
entièrement de la main de M. Dumas, et, comme je l'ai dit
plus haut, composé entièrement par lui. Paris, le
6 septembre 1834.
Je certifie
et je signe, Jules Verteuil,
Secrétaire de
M. Harel.
Enfin, voici une lettre que nous adresse M. Jules Janin.
Monsieur,
Je n'ai pas besoin de deux mois de
réflexion pour répondre a M. Gaillardet, un
instant me suffira.
J'ai en effet travaillé
pendant trois jours à cette malheureuse Tour de Nesle.
Après avoir gâté. comme dit M.
Gaillardet, ce drame qui n'était pas trop bon
déjà, j'ai été trop heureux
de laisser là la pièce et le
collaborateur ; la pièce a réussi
beaucoup, et mon nom, grâce à Dieu, n'a pas
été prononcé une seule fois, ni par M.
Dumas, ni par M. Gaillardet. Je me suis bien gardé de
réclamer.
Il est bien vrai que le lendemain de la
première représentation, M. Gaillardet, tout
ému par les ***, ces trois *** qui ont fait
procès au tribunal de commerce, accourut chez moi, invoquant
mon témoignage, et me prenait à témoin
qu'il était convenu entre lui et M. Harel, qu'il serait seul
nommé au théâtre, seul
affiché. La chose était vraie, je pris
aussitôt fait et cause pour M. Gaillardet :
j'employai à sa réclamation tout mon
crédit, tous mes amis ; il a encore entre les mains
les lettres de recommandations que je lui donnai à ce sujet.
I1 devrait m'en remercier, il m'en fait une accusation ! Il
était convenu, en effet, que M. Gaillardet serait seul
nommé comme l'auteur de la Tour de Nesle, mais il
n'était pas convenu qu'il était le seul auteur.
Depuis ce temps, il y a eu bien des
tristes discussions, bien des scandaleux procès, bien des
menaces entre M. Gaillardet et M. Dumas. M. Gaillardet a fait assigner
et réassigner M. Dumas, M. Dumas a répondu et
fort bien répondu, sinon au Gaillardet judiciaire, du moins
au Gaillardet littéraire ; je n'ai pas
été mêlé une seule fois
à ces querelles, et comme vous pouvez croire, je ne m'en
suis mêlé, ni directement, ni
indirectement ; ni de près ni de loin.
Mais arrive le jour où M.
Gaillardet imprime en parlant de la Tour de Nesle, « mon
meilleur drame. » M. Dumas répond que M.
Gaillardet devait dire au moins : notre drame. Et il m'appelle
en témoignage Cela dit, ce n'était plus une
question de droit, c'était une question de fait. Dans la
première question : M. Gaillardet doit-il
être nommé tout seul ? J'avais pris fait et cause
pour M. Gaillardet qui était dans son droit. Dans la seconde
question : M. Alexandre Dumas a-t-il trouvé les
belles parties, a-t-il écrit la belle prose de la Tour de
Nesle ? J'ai témoigné en faveur de M. Dumas. Car
voici ce que M. Gaillardet ne veut pas voir ; il ne veut pas
comprendre que si la Tour de Nesle ne porte et ne doit porter qu'un nom
d'auteur, la Tour de Nesle est, en effet, de deux auteurs ;
que s'il y a sur l'affiche un homme qui a eu l'idée de la
pièce, il y a derrière l'affiche un autre homme
très-connu et très-habile qui a trouvé
la scène de la prison, qui a fait le dernier acte, qui a
donné un nom à tous les personnages, qui enfin a
écrit la pièce. Le grand tort de M. Gaillardet en
tout ceci, c'est d'avoir voulu, non pas être un des auteurs,
et personne ne le lui aurait contesté, mais bien l'auteur
unique de la Tour de Nesle; injuste, ingrate et absurde
prétention !
Ainsi donc, en tout ceci, je me suis
conduit comme j'ai fait toute ma vie, en toute loyauté. J'ai
donné raison à M. Gaillardet quand il avait
raison, je lui donne tort quand il a tort. J'ai agi comme un loyal
témoin qui ne favorise aucune des deux parties qui s'en
remettent à son arbitrage. Je ne suis pas l'ennemi de M.
Gaillardet, malgré ses réticences que je ne
comprends pas. Heureux, M. Gaillardet, s'il n'avait pas d'autre ennemi
que moi ! Mais son plus cruel ennemi dans cette affaire, ce n'est pas
même M. Dumas, c'est le manuscrit pur et net, et primitif de
la Tour de Nesle, tel qu'il était avant qu'il
n'eût été gâté par
M. Dumas. Ce manuscrit existe, il est entier, il est de la main de
l'auteur. Pourquoi donc M. Gaillardet ne le ferait-il pas imprimer, tel
qu'il l'a trouvé ; le soir, au soleil couchant, sur
le pont des Arts, inspiré par le livre de M. Jouy ?
Voilà certainement la meilleure et même la seule
réplique à faire à M. Dumas. Bien
plus, pour conserver jusqu'au bout ma qualité d'arbitre, je
propose à M. Gaillardet de faire imprimer ce manuscrit
à mes frais, dût-on le tirer à
cinquante exemplaires, pour satisfaire tous ceux qui
s'intéressent à cette question de
paternité.
Deux autres ennemis,
également inédits, menacent M. Gaillardet: c'est
Georges, c'est Struenzée, deux drames qui sont venus non pas
avant, mais après la Tour de Nesle, ce qui met M. Gaillardet
dans une toute autre position que M. Dumas, lorsqu'il faisait ses
premiers vaudevilles, préludant ainsi à Henri
III, à Christine, à Angèle,
à Richard d'Arlington, à tous ces beaux drames
qui en ont fait le roi du théâtre moderne, et
même à la Tour de Nesle, n'en déplaise
à M. Gaillardet.
Mais il ne s'agit pas de M. Dumas, que
je n'ai pas mission de défendre, il s'agit de moi qui
d'abord, en tout désintéressement, ai perdu mon
temps à écrire, ou si vous aimez mieux
à gâter le drame Gaillardet ; de moi qui
me suis retiré de cette collaboration sans y avoir rien
fait, ni en bien ni en mal ; de moi que M. Gaillardet a
toujours trouvé prêt à le servir,
disposé à le soutenir quand il avait raison, et
que j'ai défendu sans le connaître, comme un ami
défend son ami. Il s'agit de moi, qui aujourd'hui me vois
obligé à mon tour de répondre
à M. Gaillardet, parce que j'ai reconnu publiquement, et qui
en doute ? la grande dépense d'imagination de
style et d'esprit qu'a faite M. Dumas, à propos de cette
pièce qui est de M. Dumas, pour la plus grande partie, mais
qui en effet, d'après des conventions écrites,
n'a jamais dû porter que le nom de M. Gaillardet.
Jules
Janin.
1 « Je
soussigné, l'un des
directeurs du
journal l'avant scène, ancien
inspecteur-général du
théâtre de la Porte-Saint-Martin, sous M. de
Lhéry, prédécesseur de M. Harel,
déclare que peu de temps avant la retraite de M. de
Lhéry, M. F. Gaillardet me communiqua un manuscrit de la
Tour de Nesle, en cinq actes, sans tableaux, dont il était
seul auteur ; que plus tard, et avant son départ
pour la province, M. Gaillardet me montra un nouveau plan du
même drame en tableau ;, et dans lequel
était, à très-peu de choses
près, toute la Tour de Nesle actuelle ; plan qui
venait d'être arrêté, m'a-t-il dit,
entre lui et M. Harel.
« En foi de quoi, etc.
2
Voilà la déclaration de M. Barba.
« Je crois me souvenir (il y a plus de deux ans de
cela) que
la moitié du prix de la Tour de Nesle a
été
donné à M. Dumas en espèces, disant
que cela
était convenu avec M. Gaillardet, ce que nia ce dernier. Il
fut
donc obligé aux termes de nos conventions, d'accepter mon
billet
pour sa part.
» Le 29 août 1834. Barba. »
3
Vous avez fait Struensèe, me dit-il !... M. Dumas
croit-il prouver par-là que je n'ai rien fait dans la Tour
de
Nesle ? Il oublie donc qu'il a fait, lui, la Chasse et
l'Amour, la
Noce et l'Enterrement. ( Qu'est ce qui a entendu parler de la Chasse et
l'amour, de la Noce et l'Enterrement) !
Puis le
malheureux Napoléon, qui a eu deux Waterloo, dont le second
entraîna dans sa chute l'Odéon de M.
Harel ?....
Puis, immédiatement après la Tour de Nesle, le
Fils de
l'Émigré, qui a eu trois
représentations avec M.
Anicet, Angèle, qui en a eu trente avec M. Anicet. la
Vénitienne, qui
en a
eu vingt avec M.
Anicet, Catherine
Howard, qui eu a eu quinze sans M. Anicet ?.... M. Dumas ne
serait
donc pas l'auteur des beautés d'Antony, de Henri III, de
Christine ! On l'a bien dit un peu, et même un peu
démontré......C'est peut-être
à cela que je
dois l'attaque de M. Dumas ? Mais qu'il soit tranquille, je ne
ferai jamais Gaule et France, et surtout Madame et la
Vendée !
4
Voir plus haut la déclaration de M. Duvernoy.
5
Voir la lettre de Janin rapportée aussi plus haut.
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